La commission d’enquête parlementaire a été balayée par la dissolution de l’Assemblée nationale. Et si elle était remise sur pied, ça ne serait pas avant un an, estime sa rapporteure. L’actrice qui a œuvré à sa mise en place réagit auprès de «Libération».
La scène se déroule il y a un peu plus d’un mois, avec le regard ému de Judith Godrèche dans les travées de l’Assemblée nationale. Sur sa proposition et grâce à un travail transpartisan, la chambre basse a voté le 2 mai à l’unanimité la création d’une commission d’enquête parlementaire sur les violences dans le milieu culturel. Devant un hémicycle en grande partie déserté, sa rapporteure, la députée écologiste Francesca Pasquini, espère alors pouvoir «signer la fin de l’omerta». Depuis la dissolution, cette commission, liée à la législature en cours, a cessé d’exister. C’est une «victime collatérale de la décision dangereuse d’Emmanuel Macron», commente Francesca Pasquini. Théoriquement, une commission similaire pourrait être remise sur pied, «soit par droit de tirage d’un groupe, soit par adoption d’une résolution, comme ce fut le cas pour celle-ci», mais «pas avant un délai de douze mois», déplore la députée.
70 personnes ou structures avaient déjà été entendues durant trente-cinq heures d’audition, parmi lesquelles le CNC, la commission des enfants du spectacle, des directeurs de casting, l’inspection du travail… «Cette semaine, nous devions notamment entendre les représentants des réalisateurs et confronter les producteurs à leurs responsabilités», pointe Francesca Pasquini. Une moyenne de quinze heures d’auditions par semaine étaient prévues jusqu’à mi-juillet avant la remise d’un rapport de synthèse en octobre.
Malgré cette fin précipitée, «la création de cette commission avait déjà fait bouger les lignes, par l’accélération de certaines annonces ou la formulation de certaines propositions par les acteurs auditionnés comme la charte de l’Association des responsables de distribution artistique sur le casting de mineurs», se rassure la rapporteure. L’interdiction de la nudité lors des castings a aussi reçu le soutien de plusieurs acteurs de la profession. «Néanmoins, il reste encore énormément à faire», appuie-t-elle. De son côté, submergée de «tristesse», Judith Godrèche appelle Emmanuel Macron «à prendre ses responsabilités».
La dissolution de l’Assemblée nationale embarque dans sa chute plusieurs commissions d’enquête parlementaires, dont celle que vous avez impulsée. Quelle a été votre réaction immédiate ?
Nous avons toutes été envahies par une tristesse absolue. L’annonce du vote fut un moment très fort pour moi, comme pour beaucoup d’autres. Ce jour-là, un espoir est né, celui de pouvoir exposer au grand jour un système pourtant extrêmement solide et protégé. Un système jusqu’à présent inébranlable, qui impose le silence à des milliers de victimes. Il était impératif pour moi d’ouvrir une conversation, de rassembler autour d’une table des techniciennes et des directrices de casting, des actrices et des réalisatrices, des directrices de production et des autrices… Des collectifs et des individus se sont retrouvés, mais aussi trouvés. Dans la rencontre, dans le partage des angoisses, comme la peur de ne plus travailler si l’on parle.
Ces échanges nous ont donné de la force. Mais ce fut un effort colossal. Nous avons dû faire face à nos souvenirs. Pour certaines, ils datent d’hier, pour d’autres, d’aujourd’hui. Beaucoup d’entre nous ont été abusées très jeunes, même enfants, sur des plateaux, lors de castings. Certaines d’entre nous ont dû changer de métier et nombre, parmi nous, sont dans des situations précaires. Nous étions pourtant prêtes à dénoncer une mécanique généralisée de domination et d’omerta dans le monde du cinéma. Et tout à coup, alors que nous avions pris notre courage à dix mains, plus rien. Tout se passe d’ailleurs comme si rien n’avait jamais existé – car il semblerait que personne ne sache ce que deviennent les travaux, les documents, les conclusions en cours. C’était donc un mirage ?
En quoi cette commission jouait-elle un rôle primordial pour briser l’omerta régnant autour des violences dans ce milieu ?
Il y a dans ce métier une impunité totale et une hiérarchie, tellement bien ficelée, que certaines personnes ne sont «pas au courant». Les techniciennes peuvent être victimes de violences avant le tournage, en préparation, et ce, dans des situations dont le reste de l’équipe n’est pas témoin. Les enfants, les acteurs et actrices, peuvent également en être victimes pendant le casting, grande est la solitude de ce moment-là. Si nous n’exposons pas cette réalité, si nous ne pouvons pas raconter au grand jour ce qu’il en est, les choses ne changeront pas. Les enfants continueront d’être malmenés et abusés. Et les institutions pourront, elles, continuer de faire comme s’il s’agissait de cas isolés.
La disparition de cette commission, c’est un coup de poignard dans le dos pour nous tous, pour la possibilité que ce monde change. Cette plateforme nous assurait de pouvoir parler sans danger, dans ce cadre institutionnel protecteur. Nous avions énormément travaillé et allions faire des propositions concrètes pour nous protéger, certes, mais surtout pour protéger l’ensemble de la profession.
Au bout de trente-cinq heures d’audition, cette commission a-t-elle déjà fait bouger les lignes ?
Pour vous donner un exemple de la manière dont ces auditions ont eu un impact, Clémentine Charlemagne du collectif 50-50, qui fait partie de notre groupe de réflexion, le dit très bien : l’audition du collectif a été l’occasion de prendre conscience du fait que les violences sexistes et sexuelles (VSS) avaient été laissées de côté dans son programme initial. Or, il est apparu qu’il n’était plus possible de ne pas les inclure dans les missions du collectif.
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