Dans un entretien au « Monde », le chef d’orchestre des cérémonies d’ouverture et de clôture des Jeux olympiques et paralympiques revient sur cette aventure.
En novembre 2022, tout juste nommé directeur artistique des Jeux olympiques (JO), Thomas Jolly change de vie. Il démissionne du Quai, à Angers (le centre dramatique national qu’il dirige depuis 2020), et se lance dans l’aventure des JO.
Un défi de plus pour cet artiste de théâtre qui, en 2014, proposait au public dix-huit heures d’une représentation shakespearienne hors norme (Henri VI). Le metteur en scène aime franchir les limites. Créateur d’opéras, il est aussi celui qui a redonné vie, en 2022, à la comédie musicale Starmania. Autant d’expériences qui l’ont conduit à prendre en main les quatre cérémonies des Jeux olympiques et paralympiques. Il revient sur les moments forts, règle quelques comptes avec le théâtre, tout en regardant l’avenir d’un œil encore incertain.
Avez-vous toutes les cartes en main pour faire un bilan de l’aventure des JO ?
Honnêtement ? Pas du tout ! Tout s’est enchaîné dès ma nomination en septembre 2022. Depuis fin juillet, il a fallu sortir une cérémonie tous les quinze jours. Je n’ai même pas eu le temps de les regarder à la télévision. J’ai assisté aux trois dernières de la régie ou des gradins, à la Concorde et au Stade de France. C’était comme un mix entre la mise en scène d’un opéra XXL et mon expérience de la Cour d’honneur d’Avignon. A l’opéra, une centaine de personnes se coordonnent. Ici, elles étaient 20 000. C’est énorme, ça n’a rien à voir avec un spectacle ordinaire.
L’aventure relevait-elle du marathon ou du sprint ?
Il s’agissait plutôt d’un marathon avec, à la fin, quatre sauts de haies. Un nombre invraisemblable d’idées étaient alignées sur la ligne de départ et un nombre incalculable d’obstacles se sont présentés en face de chacune d’elles. Le budget, la technique, mais aussi la météo, le patrimoine, la sécurité, le fleuve et ses ponts, la stabilité des quais, et ainsi de suite. Le marathon a consisté, pour moi et mon équipe, à transformer nos idées sans renier nos intentions de départ, tout en passant au travers des filets.
Nous y sommes parvenus, même le 26 juillet sous une pluie tenace. J’étais dévasté. J’ai pleuré toute la journée. Mais, en réalité, cette pluie nous a donné l’instantanéité. Nous étions tous, public, équipes techniques, sportifs, sous une même eau fédératrice. Elle nous a rassemblés. Ce jour-là, la météo parisienne a décidé de la narration.
Comment avez-vous vécu la curiosité croissante autour du projet ?
Il y avait quelque chose de l’ordre de l’impossible dans le projet de Thierry Reboul, le directeur exécutif des cérémonies des JO. Cet homme déplace les cadres. En annonçant une ouverture sur la Seine, il a créé un tel choc de réalité que le scepticisme a surgi.
Beaucoup pensaient que nous n’y arriverions pas. D’où cette volonté pernicieuse de vouloir tout savoir avant le jour J, et d’y parvenir parfois en gâchant les effets de surprise. Nous n’avons pas réussi à garder secrets les noms de Lady Gaga et de Céline Dion. C’est dommage.
En avez-vous été affecté ?
Oui, car j’ai travaillé dans ce bruit ainsi que dans le vacarme d’une actualité politique qui nous a rattrapés. Je n’ai pas échappé au climat de suspicion et d’inquiétude.
Quelles incidences les élections législatives et la perspective d’une victoire du Rassemblement national ont-elles eu sur la cérémonie d’ouverture ?
Si Jordan Bardella avait été premier ministre, je n’aurais rien changé au contenu. De toute façon, c’était trop tard. Mais ce contexte politique anxiogène a...
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