ENTRETIEN - Destruction de la chapelle de Lille et du pavillon Napoléon III à Saint-Cloud, projet de tours sur l’île Seguin à Boulogne… L’animateur pointe l’inquiétant désengagement de l’État dans la préservation du patrimoine. Un cri de colère à la veille du lancement de la quatrième saison de son loto.
Du patrimoine royal à la nature, il n’y a qu’un pas que Stéphane Bern est train de franchir. Mercredi soir, l’animateur s’est rendu sur à Boulogne-Billancourt (92), afin d’écouter le collectif «Vue sur l’île Seguin» qui s’oppose à la construction de tours sur le quartier du Trapèze (près de La Seine musicale). «Comment expliquer que l’on songe encore à bâtir des milliers de mètres carrés de bureaux dans cette période de crise, et alors qu’on nous annonce un réchauffement climatique sans précédent?», s’est-il étonné, en soutenant le projet alternatif d’espaces verts sur l’île.
Au moment où l’animateur s’apprête à lancer la quatrième édition du loto du patrimoine, Stéphane Bern estime que le patrimoine est à la veille «d’un désastre» si on ne se mobilise pas en sa faveur. Estimant qu’il ne faut rien lâcher, il promet de continuer de se «battre avec (ses) tripes», pour les monuments, les villages mais aussi le patrimoine naturel.
LE FIGARO. - Depuis deux jours, les pelleteuses ont commencé à détruire la chapelle Saint-Joseph, à Lille. Un combat perdu?
Stéphane BERN.- Le signal donné par cet épisode est dévastateur. D’un côté, on me demande de sauver le patrimoine, et de l’autre côté, on laisse faire. J’ai été parmi les premiers à me mobiliser contre la destruction de cette chapelle lilloise. J’en avais même parlé au président de la République! Mais une chaîne de responsabilités, ou plutôt d’irresponsabilités, a conduit à sa démolition. L’édifice appartient à «la Catho», et il semble incompréhensible que cela soit ce groupe d’enseignement catholique qui ait accepté de raser une chapelle, même désacralisée. À la suite de quoi, l’État aurait pu s’y opposer en classant la chapelle Saint-Joseph. Mais le ministère a estimé que le jeu n’en valait pas la chandelle, au motif que ce patrimoine du XIXe siècle ne présentait pas un «intérêt architectural majeur». Résultat, les bulldozers sont actuellement à l’œuvre. La grille de lecture de l’État n’a pas évolué en même temps que la société civile. Il n’a pas pris conscience de la sensibilité du public pour ses monuments, qu’ils soient jugés «importants» ou pas.
Détruire une chapelle en 2021 dépasse par ailleurs la seule question de savoir si elle présente ou non un intérêt architectural. C’est prendre le risque d’en faire un débat politique facilement récupérable.
Victor Hugo dénonçait déjà un État démolisseur. Rien n’a donc changé en près de deux cents ans?
Du côté de l’État, la politique est erratique, et un peu incohérente. Il ne veut pas sauver la chapelle Saint-Joseph en la classant, puis il ordonne la destruction du pavillon Napoléon III, à Saint-Cloud, qui lui est classé. Personne n’y comprend plus rien. Que veut dire, pour un monument, être classé? Si ce label ne protège plus le patrimoine, c’est le signal d’un dysfonctionnement au sein de l’administration.
En 2020, les dons en faveur du patrimoine se sont effondrés. Dans ce contexte, pensez-vous que le nouveau loto du patrimoine va faire recette?
L’année dernière, les gens ont un peu moins joué qu’en 2019. Mais le mouvement et les habitudes ont été pris. On va lancer la semaine prochaine la quatrième saison du loto du patrimoine, et commencer à faire un choix parmi les 530 nouveaux dossiers de restauration qui nous sont parvenus. La Française des jeux se dit prête à amplifier l’opération, à multiplier les tirages spéciaux en faveur du patrimoine. Je sens une grande attente pour ce loto, qui avait été tant décrié à l’origine. D’autant que l’argent de la Mission Bern et de la fondation du patrimoine est versé - 127 millions en trois ans - et que grâce à lui, les travaux ont pu continuer, même pendant les périodes de confinement.
En 2020, j’ai été assailli d’appels à l’aide, venus de toute la France. Partout, des propriétaires sont exsangues, car ils n’ont pu ouvrir que quelques mois. Certaines vieilles familles n’ont plus un sou et sont désemparées. Elles ont hérité d’un monument et de la charge qui va avec, et n’ont plus les moyens de l’entretenir. L’année 2020 a été dramatique pour elles. Beaucoup de collectivités territoriales sont également dans une impasse. Elles font face à une crise sociale, et doivent faire des choix en termes de financement. Nous sommes à la veille d’un désastre, si nous ne nous mobilisons pas. Il y a un enjeu de civilisation devant nous. Si on laisse le patrimoine se dégrader, les futures générations n’auront plus de lien avec leur passé et leur histoire. Pourtant, on sait bien que 30.000 ou 50.000 euros dépensés dans un monument ou un petit patrimoine peuvent faire revivre un village.
Vous venez de signer une tribune en faveur de la réouverture des monuments et des musées, qui sont à l’arrêt depuis trois mois. Vous pensez avoir été entendu?
Il fallait bien faire quelque chose. Regardez l’Italie, l’Espagne ou la Belgique: ils ont tous autorisé leurs musées ou leurs monuments à fonctionner, alors que le virus circule au moins autant dans ces pays. Ils l’ont fait de manière pragmatique, et expérimentale, en prévenant musées et public que tout pourrait refermer si la crise sanitaire s’aggravait. En France, nous sommes dans une logique du tout ou rien. Tous les musées sont fermés, au même titre que les salles de cinéma ou de spectacle. Résultat, si la manufacture de Sèvres n’a pas le droit de montrer sa grande exposition sur les arts de la table, qui est en place depuis plusieurs semaines, la galerie Aveline, à Paris, est autorisée à recevoir du public pour une exposition sur le même thème. Tant mieux pour la galerie, et pour les visiteurs, mais vous avouerez que c’est un peu absurde. J’ai par ailleurs entendu Roselyne Bachelot dire qu’elle était contre le passeport vaccinal - et bien moi, non. Ce passeport, c’est une promesse de liberté. Un certain nombre de pays vont le demander à l’entrée de leurs musées, on ne va tout de même pas priver les Français qui le peuvent de cette possibilité. La tribune soulevait également la question du retour en grâce des monuments et des châteaux. Le Figaro s’est fait écho de la situation financière dramatique du château de Chantilly, dont la trésorerie est quasiment vide, faute de visiteurs. Or, des «Chantilly», il y en a plein la France.
Avec le Covid-19, et ses dizaines de milliers de morts, la sauvegarde du patrimoine peut sembler un peu décalée…
On me dit souvent qu’il faut sauver des vies humaines d’abord, et que les vieilles pierres attendront. Ce à quoi je réponds que derrière le patrimoine, il y a des centaines de milliers de vies en jeu. 35.000 artisans d’art travaillent par exemple dans ce secteur, et font vivre leur famille, il faut bien que quelqu’un porte leur voix! C’est aussi à la société civile de s’engager pour les défendre.
À son ministre de la Guerre, qui lui demandait: «Pourquoi nous battons-nous?», Wilson Churchill avait répondu: «Pour le monde d’après». À ma mesure, je vais continuer à banderiller, à me battre avec mes tripes. Quand on parle de possibles destructions de patrimoine, l’État répond qu’il ne peut pas tout garder, ou tout conserver. Mais c’est dans l’adversité que l’on reconnaîtra les combats. Il ne faut rien lâcher! Les Français sont attachés au patrimoine, surtout dans la France rurale et périphérique. Ce sont leurs racines, leur identité et bien souvent, tout ce qui leur reste. Parfois, au moment...
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