L'ancien ministre de la Culture de François Mitterrand, dont le mandat à la tête de l'IMA vient d'être renouvelé, appelle à un « new deal culturel ». Il salue l'annonce de l'« année blanche » pour les intermittents et l'idée d'Emmanuel Macron d'élargir la commande publique à tous les genres artistiques. Jack Lang exhorte le pouvoir à consacrer 5 % des 100 milliards de son plan de relance globale à la culture.
Vous avez réclamé un « new deal » pour la culture. Les annonces du président Macron du 6 mai sont-elles à la hauteur de vos espérances ?
Sur le plan d'urgence annoncé par Emmanuel Macron, tout le monde est bien conscient que la mise à terre de milliers de festivals, d'associations, d'institutions… représente une véritable hécatombe. L'annonce de l'« année blanche » pour les intermittents jusqu'en août 2021 est une décision vitale pour le spectacle vivant qu'il faut saluer. C'est une décision unique au monde pour préserver un système unique. Dès 1981, je me suis battu pour sauvegarder ce régime qui est une expression de l'exception culturelle française. Mais il faudra imaginer d'autres mesures fiscales et sociales pour les dizaines de milliers d'« invisibles » - associations et indépendants - qui constituent le tissu de la culture française sur tout le territoire. Car le régime des intermittents est loin de couvrir la totalité de la vie culturelle française, même si on est passé de 40.000 à 120.000 bénéficiaires en quelques années. Il faut donc compléter ce plan d'urgence, notamment pour les jeunes plasticiens (créateurs de design, bande dessinée, sculpture…) qui sont en totale souffrance. La décision du président de renforcer la commande publique, qui était largement tombée en désuétude, pourrait y remédier, même si on ne connaît pas encore l'enveloppe. N'oublions pas qu'au lendemain de la Grande Dépression, le « New Deal » de Roosevelt a eu un effet de levier considérable sur la renaissance culturelle et artistique américaine. L'idée d'Emmanuel Macron d'élargir la commande publique à tous les genres artistiques - la musique, le design, le théâtre… - est bonne. C'est comme ça que l'Amérique a conquis sa prééminence culturelle.
A combien chiffrez-vous ce plan d'urgence a priori ?
J'ai évoqué 1 milliard d'euros. C'était une proposition minimale. Si on réussit à débloquer 100 milliards d'euros pour l'économie, on pourrait bien décider que 5 % soient affectés à ce plan d'urgence, y compris la relance de la commande publique. Ce malheur est en même temps une occasion historique à saisir pour rebattre les cartes, renverser la table et inventer une nouvelle donne. Les grands moments de la politique culturelle ont toujours coïncidé avec des séismes : le Front populaire de 1936 et la politique des arts de Jean Zay, en particulier l'invention du Festival de Cannes, la Libération et l'accession de Jean Vilar à la tête du TNP, 1958 avec De Gaulle et André Malraux, 1981 avec l'élection de Mitterrand… Ce « new deal culturel » suppose un changement de philosophie, à rebours de la politique culturelle menée depuis vingt ou trente ans. Il faut inverser la hiérarchie des valeurs : le savoir, la culture, la science, la beauté… quoi qu'il en coûte… Car c'est une source de richesse, de bonheur et de sens.
Comment expliquez-vous la frustration et l'anxiété d'un grand nombre d'artistes face à ces mesures ?
Il faut redonner confiance. C'est pourquoi je propose un processus : il faut partout dans le pays solliciter l'imagination de tous les artistes, associations, élus, créateurs, connus et inconnus. Et que mille projets surgissent ! Il faut mobiliser tout le pays pendant deux ou trois mois pour inventer une nouvelle vision culturelle, radiographier les richesses artistiques. Que la France se transforme dans ses profondeurs en un immense chantier de réflexions et de propositions. Le « new deal » doit créer le sentiment partout dans le pays que la culture est un bien de première nécessité et restaurer l'esprit de service public. Mais cela ne marchera que si l'Etat donne le la. Sinon...
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