Djillali Annane, chef du service de médecine intensive et réanimation à l'hôpital Raymond Poincaré de Garches (92). Pour Culturelink, le professeur de médecine réagit aux décisions gouvernementales.
En tant que professeur de médecine, quelle est votre réaction à la non-réouverture des établissements culturels ce 15 décembre ?
Je pense que c’est une grave erreur de garder fermés un certain nombre de lieux culturels, comme les théâtres, les salles de spectacles, les cinémas et les musées et ce, pour deux raisons. La première est que je ne suis pas convaincu que l’ouverture contrôlée des établissements entraîne une augmentation du risque sanitaire. On peut parfaitement organiser, avec sécurité, l’accueil du public, contrôler les jauges et les distanciations physiques, gérer les flux de spectateurs. Il n’y a donc pas de justification sanitaire pour les spectacles en configuration assise. On est par exemple capable de faire monter et descendre 300 passagers dans un avion.
La deuxième raison est indirecte. Nous sommes en apnée sociale et culturelle depuis près d’un an. On a besoin de respiration culturelle, de se retrouver, d’avoir des moments d’échappatoire. C'est primordial pour notre santé à tous. Prenez l’exemple des cancers, on a impérieusement besoin de cela pour supporter les traitements.
Que répondez-vous à certains de vos confrères qui considèrent que les établissements culturels restent des lieux à risque, que les aérosols viraux peuvent notamment se développer quand le public reste immobile pendant plusieurs heures ?
Au vu de l’évolution des connaissances sur la Covid-19 et ses modalités de transmission, la question d’un risque éventuel d’aérosolisation des particules virales se pose mais cela doit être évalué selon le milieu considéré. Or, les salles de spectacles ne sont pas des caveaux exigus. Il y a de la hauteur sous plafond et des possibilités d’aération. On peut en effet aérer la salle avant et après les représentations, et pendant les entractes. Je n’ai pas connaissance de travaux, de données scientifiques robustes démontrant un risque dans de tels contextes.
On dit également que, dans le monde, il n’y jamais eu de cluster dans une salle de spectacles ou un cinéma…
Je ne suis pas si catégorique car en médecine, il ne faut jamais dire « jamais ». Comment être certain qu’il n’y a pas eu de cas dans un théâtre à Rio par exemple ? Mais j’insiste : il n’y a pas plus de risques dans un théâtre que dans un Paris-Nice en train ou en avion. Et si un théâtre rouvre, je serai le premier à le fréquenter. Je ne vous dis pas cela à la légère : je ne sous-estime pas cette pandémie, je suis à la tête d’un service de réanimation et, dans la crise actuelle, suis confronté à de dures réalités chaque jour.
Combien de temps la situation risque-t-elle de durer ?
Actuellement, nous sommes sur un « plateau » qui va perdurer dans les prochaines semaines. Ce qui risque d’être critique, ce sont les vacances de février. Nous allons sans doute connaître un mois de mars qui va ressembler à mars 2020. C’est pour cela qu’on a notamment besoin de reprendre nos activités culturelles, et pas uniquement au sens où les entend Mathieu Kassovitz qui ne parle que de la télévision et des livres.
Propos recueillis par Nicolas Marc