Fasciné par «ces visages que nous avons tous en partage» qu’ils soient «adorés ou abhorrés», le metteur en scène déroule dans «Huit Rois (nos présidents)» une saga sur les chefs de l’Etat de la Ve République, dont les trois premiers chapitres, sur Chirac, Giscard et Mitterrand, sont donnés au Théâtre 13 à Paris.
Etalé sur une dizaine d’années, c’est un chantier artistique qui percute le tumulte sociopolitique dans lequel le pays n’en finit plus de s’enfoncer. Dès 2019, l’auteur et metteur en scène Léo Cohen-Paperman met en branle la saga Huit Rois (nos présidents) qui, sous forme d’épisodes distincts, évoque tous les chefs d’Etat de la Ve République, de Charles de Gaulle à Emmanuel Macron.
D’une facture et d’un intérêt variables, les trois premiers chapitres sont actuellement réunis au Théâtre 13 à Paris : «la Vie et la Mort de Jacques Chirac, roi des Français», traité sous la forme déconcertante d’une enquête onirique (qui reviendra début septembre au théâtre du Petit Saint-Martin à Paris), «Génération Mitterrand», dissection plus sobrement maîtrisée d’une époque basculant de l’euphorie à la désillusion et, dernier en date, «le Dîner chez les Français», farce giscardienne qui chercherait une issue improbable entre les Bodin’s et les Chiens de Navarre.
Entretien avec Léo Cohen-Paperman qui, au même titre que son homologue et ami Hugues Duchêne (Je m’en vais mais l’Etat demeure, l’Abolition des privilèges), a délibérément choisi d’utiliser la politique comme matière première de ses créations.
Qu’aviez-vous en tête en amorçant ce projet ?
«Les morts gouvernent les vivants» disait Auguste Comte – ou quelque chose comme ça, je n’ai pas vérifié la citation [elle est bien attribuée au philosophe, ndlr]. Le point de départ de la série est intime : mon père, Philippe Cohen, journaliste politique, est décédé en 2013. Faire cette série, c’est poursuivre un dialogue avec lui, le «doux échange de sentiments et d’idées» dont parlait toujours Comte. Ensuite, et c’est le plus important, il y a dès 2019 l’intuition que la représentation des présidents est une formidable base pour inventer un théâtre à la fois politique et populaire, parce que ces «rois» sont des visages que nous avons tous en partage – que nous les adorions ou abhorrions. Sachant que pour en faire de vrais personnages de théâtre, humains, fragiles, sincères, il ne faut pas s’arrêter à l’indignation. Au contraire, même : écrire sur le pouvoir exige d’arriver à les aimer tous, même ceux qui peuvent apparaître comme les plus vils.
Pourquoi appeler «rois» tous ces élus au suffrage universel ?
Le titre de la série m’est venu d’une anecdote. De Gaulle, en finissant de conceptualiser avec Michel Debré la Constitution de la Ve République aurait dit : «J’ai résolu un problème de cent-cinquante ans.» J’aime beaucoup cette histoire, dont je n’ai pas vérifié la véracité, car elle raconte la nécessité (en tout cas, du point de vue de De Gaulle), pour trouver un régime stable (les IIIe et IVe Républiques avaient mené le pays à la capitulation de 1940 et à la guerre d’Algérie), de faire la synthèse entre les idéaux et acquis démocratiques issus de la Révolution française… et les mille ans de régime monarchique qu’avait connus la France. Donc l’utilisation du mot «roi» dit aussi ce besoin très national et ancré historiquement d’un pouvoir qui s’exerce par incarnation et non par délégation.
Pourquoi ne pas avoir opté pour la simplicité d’un agencement chronologique ?
C’est totalement inconscient mais si je devais justifier l’ordre dans lequel nous avons créé les spectacles, je dirais ceci : «Chirac», c’est notre enfance. Nous sommes nés à la fin des années 80, quand il est élu en 1995, j’ai 7 ans, forcément, ça marque. Ensuite, «Mitterrand» était une réponse à «Chirac», dans la forme (moins d’incarnation, plus de sobriété) comme dans le fond (une pièce plus directement politique). Enfin, avec «Giscard», nous voulions remonter à l’origine de la crise structurelle qui a frappé la France depuis la fin des Trente Glorieuses.
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