Dans une tribune publiée mardi, le directeur du Théâtre Nouvelle Génération, à Lyon, s’élève contre les dérives autoritaires du président de région Auvergne-Rhône-Alpes. Il nous explique sa prise de position.
Dérives autocrates », « entreprise délibérée de déstabilisation », « méthodes managériales hautement toxiques ». Dans une tribune titrée « L’Auvergne-Rhône-Alpes est gouvernée par la culture de la peur », mise en ligne mardi 18 avril sur le site du Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (Syndéac, donc il est membre), Joris Mathieu n’a pas de mots assez durs pour dénoncer la politique culturelle et le comportement de Laurent Wauquiez à la tête de la région. Ce metteur en scène reconnu par ses pairs, qui dirige à Lyon le Théâtre Nouvelle Génération, prend le risque de dire tout haut ce que de très nombreux responsables de théâtre, de compagnie, de centre chorégraphique, de salle de musique ou de festival de la région pensent en silence d’une situation qui ne cesse de se dégrader depuis un an.
Le printemps 2022 avait marqué le début des hostilités lorsque Laurent Wauquiez a annoncé une baisse brutale des subventions à la culture sans la moindre concertation en amont au nom d’un « rééquilibrage territorial » qu’on attend encore. Cette année, les subventions de l’exercice en cours ne sont toujours pas attribuées et ne devraient l’être que le 5 mai. La vice-présidente du Conseil régional, Sophie Rotkopf, assure que le budget culture est sanctuarisé, mais affirme dans le même temps : « Rien n’est dû et rien n’est gravé dans le marbre […]. Certaines subventions vont augmenter, d’autres baisseront. » Un cauchemar pour les acteurs culturels qui n’ont d’autre choix, alors que la saison est déjà bien commencée, que d’engager un argent dont ils ne disposeront peut-être pas ou de supprimer certaines de leurs productions. De quoi déstabiliser nombre d’entre eux, d’autant qu’ils doivent composer avec une hausse des salaires du fait de l’inflation et une explosion des coûts de l’énergie. Résultat ? Pas une semaine ne passe sans une annonce du rétrécissement du territoire de la culture. Vendredi 14 avril, l’Opéra de Lyon avertissait son public de la déprogrammation de l’adaptation du célèbre vaudeville de Georges Feydeau On purge bébé, par Richard Brunel, de l’annulation d’une journée portes ouvertes et du Festival du Péristyle, ainsi que sa fermeture du 15 juillet au 15 août. À qui le tour demain ?
Dans ce contexte de totale incertitude, la stratégie politique très personnelle de Laurent Wauquiez à la tête du Conseil régional apparaît illisible et provoque sur place colère et incompréhension, comme l’explique Joris Mathieu.
Pourquoi accusez-vous Laurent Wauquiez d’une « entreprise délibérée de déstabilisation du fonctionnement » des institutions culturelles publiques ?
Il s’agit moins d’une accusation que d’un fait. Depuis le début de son second mandat, Laurent Wauquiez déstabilise le fonctionnement des lieux culturels en remettant en cause leurs financements, mais aussi toute la politique culturelle de ce territoire en s’opposant à tout dialogue. Et c’est bien un projet délibéré puisqu’il ne peut pas ignorer les effets produits par ses décisions et par les méthodes qu’il emploie.
Le Conseil régional a reporté à début mai le vote des subventions, quelles sont les conséquences de ce report ?
Sans vote, il n’y a pas de versement de la subvention, ce qui génère un risque de déficit de trésorerie et remet en cause l’activité prévue et les emplois. Or, non seulement le vote n’a pas eu lieu, mais les montants attendus sont devenus très incertains. Les coupes massives de 2022, l’absence totale de communication de la Région avec les directions des structures, les syndicats et les autres partenaires financiers, tout cela ne fait que savamment amplifier l’inquiétude. Pourtant l’activité de ces lieux relève de missions de service public, ce qui justifie le principe de reconduction tacite des subventions qui structurent tout notre fonctionnement.
En quoi ces coupes budgétaires font-elles « voler en éclats » la politique de coconstruction culturelle entre l’État et les collectivités locales ?
Derrière ces coupes budgétaires, c’est bien un projet de rupture politique qui est défendu par Laurent Wauquiez. Il cherche à s’émanciper de toute concertation et obligation. En se désolidarisant du cofinancement de structures culturelles, il utilise son pouvoir de nuisance, pour établir un rapport de force avec l’État et les collectivités, dans le secteur de la politique culturelle publique à laquelle il n’accepte pas de contribuer sans la dominer. C’est explicite quand il dit que sa conception de la subvention au service public de la culture n’est pas la reconduction. Et sa vice-présidente le dit tout aussi clairement en prétendant vouloir singulariser sa politique culturelle et la rendre autonome. Ce qui est par ailleurs totalement irréaliste, car son budget ne lui permet pas de mener, seule, une « politique » digne de ce nom.
Laurent Wauquiez justifiait ses coupes budgétaires de plus de quatre millions d’euros par une volonté de « rééquilibrer » les crédits à la culture au profit « des habitants éloignés des grandes institutions culturelles ». Qu’en a-t-il été ?
Cela relève malheureusement du pur message électoral adressé à la ruralité, mais ça n’est traduit par aucun acte. Il est vrai que certaines zones de la région sont moins bien loties, mais déshabiller Paul pour habiller Jacques ne conduira qu’à nuire à l’efficience de ce qui existe sans réussir à doter correctement les autres territoires. Par ce prétendument vertueux rééquilibrage, l’exécutif dissimule mal une autre vérité. La région sous-finance la culture en y consacrant 8,44 euros par an et par habitant. Si elle s’alignait sur la moyenne des autres régions (12 euros par an et par habitant), elle disposerait de trente millions d’euros supplémentaires pour mener un véritable projet ambitieux sur son territoire.
Quant aux quatre millions de coupes, l’opacité est totale sur l’usage qui en a été fait. La vice-présidente évoque des appels à projets, dotés de deux millions d’euros, mais qui ne pourront financer que des actions qui se dérouleront fin 2023. Donc, comptablement parlant, c’est bien quatre millions d’économies qui ont été réalisées en 2022 et non un rééquilibrage.
Quel est l’intérêt de Laurent Wauquiez de s’en prendre aussi frontalement au secteur de la culture ?
La culture est un parfait territoire d’expérimentation pour tester...
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