Dans une interview aux « Echos », le patron du SNEP, un syndicat regroupant les majors de la musique mais aussi des labels indépendants, explique pourquoi il est contre une taxation des sites de streaming payants comme Spotify ou Deezer pour compléter le financement du CNM.
Les défenseurs d'une taxe sur le streaming estiment que les streamers, et donc par ricochet les majors du disque, doivent apporter leur contribution au CNM. Pourquoi refusez-vous ?
Une telle taxe ne toucherait pas que les grandes compagnies mais l'ensemble des artistes et des producteurs, ainsi que les consommateurs. Son principe même est injuste, puisqu'il s'agit de prendre à tous pour donner à quelques-uns.
Les promoteurs de ce nouvel impôt convoquent sophismes et inexactitudes au service d'intérêts de court terme. Il est assez pénible de recevoir des leçons anti-concentration de Live Nation, qui a inventé le 360 degrés, ou de Fimalac qui, avec les Youtubeurs de Webedia, fait du « 720 degrés ». Nous sommes dans un débat à fronts renversés, où les gros et les petits ne sont pas ceux que l'on croit.
Ce nouveau prélèvement est indéfendable en période d'inflation et de menaces sur le pouvoir d'achat. Ses partisans assurent que ce n'est qu'une « petite taxe », avec un taux faible de 1,5 %. C'est un procédé classique : lorsqu'on veut faire avaler la pilule amère d'une nouvelle taxe, cela commence par un taux faible mais qui va monter par la suite.
Pourtant, vous contribuez relativement peu au CNM…
C'est faux. Nous ne sommes pas dans un système symétrique. Le spectacle vivant a mis en place une taxe sur la billetterie, rapportant 30 millions d'euros intégrés au CNM, en échange d'une TVA réduite de 20 % à 5,5 %. La musique enregistrée est, elle, soumise à une TVA à taux plein et n'a pas cette marge de manoeuvre.
Même si cela ne passe pas par le CNM, avec ce taux de TVA, notre contribution publique est beaucoup plus importante, par son montant, et encore plus en proportion de notre chiffre d'affaires. Nos mécanismes de soutien sont importants mais passent par les organismes de gestion collective (OGC) de droits voisins de la musique enregistrée. Nous n'avons nullement l'intention d'aller piocher dans l'escarcelle du spectacle. Chaque fois que nous leur proposons de sanctuariser à leur profit le produit de la taxe billetterie, ils refusent, c'est un signe.
Un audit flash de la Cour des comptes a établi que plus de 820 millions d'euros ont été mobilisés par l'Etat au titre du ministère de la Culture pour des mesures spécifiques en faveur du spectacle vivant, cela explique peut-être la fébrilité de certains de ses acteurs.
Enfin, la musique n'est pas non plus le cinéma, où les blockbusters américains financent la production française. Le marché de la musique, ici, est porté par les nouveautés françaises, qui dominent les classements.
Vous dites qu'une telle taxe aurait un impact sur le marché du streaming, pourtant en forte hausse. Pourquoi ?
Les bonnes perspectives de ce marché attirent beaucoup de concupiscence. Mais aucune des plateformes d'écoute n'est à l'équilibre en dehors d'Amazon, Apple ou YouTube (Google) pour qui le streaming musical n'est pas l'activité principale. Ceux qui aujourd'hui envient notre croissance ne se rendent pas compte d'où vient notre industrie.
Nous avons été les premiers à subir le choc numérique. Même si nos statistiques sont toujours encourageantes, nous sommes en train de rattraper patiemment notre niveau de chiffre d'affaires du début des années 2000. Le modèle du streaming est à l'âge de l'adolescence et le taxer aurait un effet désastreux.
Pensez-vous que la création d'un CNM soit une bonne idée ? Quel CNM avez-vous en tête ?
Nous avons de très bonnes relations avec la direction et les équipes du CNM. Cet établissement public est fragilisé par ceux qui prétendent le défendre et l'instrumentalisent, tous en désaccord sur l'usage qui pourrait être fait du produit de leur impôt streaming.
Nous voulons que le CNM soit au-dessus des parties, qu'il puisse aider à la bonne santé économique de l'industrie dans son ensemble, des producteurs de spectacles, des éditeurs et producteurs de musique. Ce ne doit pas être une fosse aux lions.
Certains voudraient transformer cette « maison commune de la musique » en salle de shoot aux aides discrétionnaires, ça ne me paraît pas souhaitable. Nous avons besoin d'une intervention publique qui soit la plus neutre possible, et qui coûte le moins cher possible à la collectivité. Le CNM a montré son indépendance en prenant une vraie hauteur de vue sur des sujets complexes comme une éventuelle rémunération centrée sur l'utilisateur (« user centric »). Il a également beaucoup de travail avec la répartition des crédits d'impôts, un système très vertueux et nullement dévoyé.
Quelle solution de financement proposez-vous ?
Notre proposition est la seule qui soit applicable et juste, puisqu'elle correspond à la réalité des usages. Une taxe dite « YouTube » de 5,15 % a été instaurée en 2017 sur le chiffre d'affaires France de cette plateforme, abattu des deux tiers. Son rendement va au CNC et nous n'entendons pas le remettre en cause. Nous proposons d'élargir l'assiette d'un tiers, au profit du CNM.
Cette solution est exempte d'effets secondaires, elle s'appuie sur un segment de marché gratuit et n'aura donc pas d'impact inflationniste. Elle corrige...
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