Le spectacle vivant aussi se lance dans la transformation écologique. Témoignage de Rachid Ouramdane, directeur du Théâtre national de la Danse de Chaillot.
Encore aujourd’hui, la couleur verte est bannie de bien des scènes. Il porterait malheur, dit-on. La faute à Molière qui serait mort sur scène, vêtu du costume vert du Malade imaginaire. La légende est fausse : il est mort après la représentation et il portait une robe de chambre grise et amarante. Mais la superstition tient toujours. Aujourd’hui, un autre « vert » hante le monde du spectacle vivant et plus largement, l’institution culturelle. En plein examen de conscience, ses acteurs se demandent comment intégrer la cause du climat à leur production. Les pistes sont nombreuses. Écoconception des décors ou des expositions, optimisation de l’énergie sur les lieux… Mais comment mettre en place des initiatives quand les chantiers possibles sont tellement disparates ? En raisonnant en écosystème, une sorte de permaculture en quelque sorte. Interview de Rachid Ouramdane, directeur du Théâtre national de Chaillot.
Vous voulez que le Théâtre national de la Danse de Chaillot s'engage dans la transition écologique. Qu'est-ce qui motive cette décision ?
Rachid Ouramdane : Nous qui produisons des spectacles, nous ne pouvons plus rester spectateurs du réchauffement climatique. On parle d’urgence climatique, mais même ce terme est inadapté tant l’urgence est là depuis longtemps, très longtemps. Le monde de la culture et des arts vivants doit prendre sa part de responsabilités. Nous nous devons d'interroger nos pratiques, considérer d'autres façons de faire. J’irai plus loin. Nous devons sortir d’une logique de « produire pour produire ». C’est nocif. Tant de spectacles ne sont pas vus. Il faut arrêter cet imaginaire de la croissance qui mise sur l’exclusivité, la nouveauté. On croit qu’à produire plus, on crée plus d’accessibilité culturelle. C’est faux. Essayons plutôt de faire avec ce que nous avons déjà ! La liberté de création restera toujours première, mais elle ne peut plus se faire au prix d’une irresponsabilité écologique.
Avec le Palais de Tokyo et le Musée d’Art Moderne de Paris, vous parlez de faire écosystème. Qu'entendez-vous par là ?
R.O. : Nos actions ne peuvent pas se résumer à celles menées à Chaillot. Il y a tellement d'initiatives à imaginer, et beaucoup d'entre elles ne peuvent fonctionner que si on s'y met à plusieurs. Une partie importante de notre activité repose sur le fait de faire découvrir des œuvres à un public. La question qu’il faut poser, c’est : « Comment fabrique-t-on nos spectacles aujourd’hui, avec quels types de matériaux, dans quelle pensée responsable ? ». Il faut changer le logiciel qui a été très longtemps à l'œuvre dans notre milieu : se battre pour monter des exclusivités, se démarquer à tout prix. Aujourd'hui, on travaille main dans la main avec d’autres théâtres sur des tournées : de sorte qu’une compagnie qui doit prendre un vol pour arriver en Europe n’ait plus à faire quatre allers-retours quand elle travaille avec quatre villes européennes, mais un seul avant de se déplacer en train de ville en ville. On s'engage davantage sur des programmations collectives.
Vous évoquez la question des matériaux. Comment peut-on penser de manière plus raisonnée cette question ?
R.O. : Aujourd’hui, à Chaillot, nous privilégions de plus en plus les matériaux recyclables. Mais cette approche doit aller plus loin : on pense désormais à produire des éléments de décors, des costumes qui peuvent être réutilisés pour connaître une seconde vie dans une autre compagnie. Cela doit être systématique et nécessite des analyses fines. Nous devons rester humbles : nous découvrons ces sujets et nous n’y avons pas été formés. On se rapproche de structures qui établissent nos bilans carbone, identifient nos points d'amélioration. Par ailleurs, nous avons repensé notre bâtiment. La grande salle du théâtre va être rénovée. Nous avons des objectifs d’écoresponsabilité. Bientôt, nous pourrons nous passer d’énergies fossiles. Je ne maîtrise pas les détails techniques, mais nous avons, entre autres, une gestion optimisée des flux d’air et de chaleur. C’est une réelle victoire pour le Théâtre national de Chaillot, emblématique de ces bâtiments de la période Art Déco, construits pour les expositions universelles.
Votre volonté est d'aller au-delà des questions matérielles...
R.O. : L’écoresponsabilité ne se limite pas à l’optimisation des ressources consommables. Il s’agit de se soucier de tout l’écosystème dans lequel nous évoluons. J’entends par là que nous devons veiller à faire place aux communautés, aux publics qui nous entourent, rester, par exemple, attentifs aux rapports de domination. S’engager dans une pensée durable et responsable, c'est aussi construire des relations apaisées et épanouies pour tous.
Qu'en est-il du choix de votre programmation ?
R.O. : Effectivement, l’écoresponsabilité se loge aussi dans le discours porté par les œuvres. Prenons l'exemple de l'artiste associé, Faustin Linyekula. Cet artiste est basé en République démocratique du Congo. Il s'est longtemps appuyé sur un modèle économique qui consiste à voyager dans les pays dits « riches » pour ensuite, mettre les ressources collectées au service de l’économie locale. Les ressources générées par son spectacle sont réinjectées dans des puits qui permettent aux habitants de sa ville de résidence de bénéficier d'eau potable. Cet argent sert aussi à financer un centre culturel qui forme les plus jeunes aux arts du geste et de la danse. On voit bien avec cet exemple que tout est affaire d’équilibre.
Réduire les voyages des artistes est-elle une solution ?
R.O. : Non, je ne crois pas qu’un objet culturel doive être traité de la même façon que n'importe quel objet manufacturé. La culture sensibilise, transmet des valeurs, des savoirs. Veillons à ne pas tomber dans une forme d’iniquité écologique. En Europe, il est simple de se déplacer en train, parce que les distances le permettent. Ce n’est pas le cas pour un artiste mexicain ou sud-africain. Imposer à toutes et tous une logique d’interdiction ferait perdurer des rapports de domination culturelle et économique. On a besoin de nuances. Avec nos bilans carbone, on a la démonstration qu’il vaut souvent mieux que le théâtre qui accueille un spectacle baisse son chauffage d’un degré. On est vigilants à ne pas adopter des réponses trop rapides ou pas suffisamment informées.
Que mettez-vous d'autre sous le chapeau du circuit court ?
R.O. : Par exemple, lorsque nous avons invité la compagnie australienne Sydney Dance Company, nous nous sommes accordés avec plusieurs structures nationales, la Maison de la Danse de Lyon, le Festival de Danse Cannes - Côte d'Azur, etc. Le circuit court se traduit aussi par ce que nous avons baptisé les « Chaillot expériences ». Plutôt que de faire venir systématiquement des œuvres étrangères, nous demandons aux artistes de s'approprier le lieu et de faire des propositions artistiques — performances, ateliers, expositions ou débats — en s’appuyant sur tout ce que le bâtiment offre. La compagnie XY s'est d'ailleurs prêtée à l'exercice les 17 et 18 septembre derniers.
Au fond, c'est une manière d'envisager les lieux de spectacles comme un commun...
R.O : On doit identifier en quoi ces lieux contribuent au...
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