Pour Laurent Bayle, président de la Philharmonie de Paris et qui planifie une Philharmonie des enfants pour 2021, il est vital d'envoyer un signal de reprise. Mais il reconnaît que la capacité à rouvrir n'est pas la même pour tous les acteurs culturels, selon qu'ils sont privés, publics, très subventionnés ou peu. Le festival de jazz coproduit avec la Grande Halle de la Villette commence le 4 septembre avec une jauge réduite de moitié.
Comment se passe l'été pour les acteurs de la culture ?
Après le temps des captations numériques pendant le confinement, puis des tentatives fin mai début juin pour remettre l'activité en mouvement avec peu ou pas de public, cet été se limite à des événements gratuits ou très peu chers, des propositions ludo-pédagogiques pour les enfants, menés avec des équipes réduites. Ce sont des messages de reprise symbolique, mais à la rentrée, on sera dans le dur.
Quelle reprise envisager pour le public et le privé ?
Le secteur privé est quasi-paralysé, comme la Seine Musicale, où seul Insula Orchestra bénéficiant d'un soutien des Hauts-de-Seine pourra vraisemblablement reprendre, comme la Salle Pleyel que nous avons concédée à Fimalac Entertainment. A l'opposé, la partie du secteur public subventionnée à 80 %, où la billetterie ne représente pas une part importante des ressources, perd peu avec une jauge réduite, et devrait s'adapter plus aisément. En revanche, dans les institutions publiques qui s'autofinancent à 50 % voire plus, comme le Louvre, l'Opéra de Paris, la Philharmonie, la billetterie doit être égale aux coûts que nous engageons, sinon très vite la situation budgétaire dérape. Ce qui sera le cas si la jauge est limitée à 50 %. Dans la musique classique, il faudra aussi accompagner les formations instrumentales et vocales qui reposent sur l'intermittence : elles ont revitalisé la diffusion du répertoire du Moyen Age au XIXe siècle et de la création contemporaine, il en va de la responsabilité des pouvoirs publics, des salles de concert et maisons d'opéra, pour que survive cette économie diversifiée, ces chefs, solistes, agents d'artistes, éditeurs, producteurs, acteurs du scénique et du numérique…
Les musiques actuelles pourront-elles reprendre dans le contexte sanitaire ?
De nombreux artistes et producteurs pourraient être rayés de la carte. L'interdiction d'accueillir du public debout risque d'être prolongée sur une durée assez longue ; en outre, ce secteur, très dépendant du privé, bénéficie de peu d'aides structurelles. Dans ces conditions, aucun lieu ou festival ne se projettera dans une reprise normalisée avec des recettes de billetterie limitées à 50 ou 60 % du chiffre d'affaires habituel. Il en va de même à la Philharmonie où les musiques actuelles sont notre segment le plus aléatoire.
Allez-vous programmer des concerts dès septembre ?
Notre premier événement sera le festival de jazz coproduit avec la Grande Halle de la Villette. De nombreux artistes anglo-saxons ne pourront pas se déplacer, nous avons reformaté l'offre autour de musiciens européens et africains. La jauge sera limitée à 15.000 places au lieu de 35.000. Frustrant, mais il est vital d'envoyer coûte que coûte un signal de reprise. Quant aux concerts symphoniques, nous avons la volonté de les reprendre, mais avec quelles limites, quels risques, quel public ? Nous avons déjà 20 % d'annulations de concerts liées à des empêchements d'artistes étrangers tels le London Symphony Orchestra et les orchestres américains. On a déprogrammé les choeurs en septembre et octobre. J'ai néanmoins maintenu l'intégralité de la programmation pour novembre-décembre car les artistes paient le plus cher tribut. Il serait, de plus, très compliqué de reporter les spectacles, car la saison 2021-2022 est déjà décidée.
Le concert de l'Orchestre de Paris du 9 juillet s'est bien rempli…
Oui, les 1.200 places disponibles - la moitié de la jauge - à des tarifs de 10 à 40 euros, ont été réservées en 24 heures. Et celui du 9 septembre affiche complet. Mais ce sont des concerts sans entracte, cela nous prive des recettes annexes liées au bar, à la restauration, aux privatisations d'espaces, à la librairie, et même au parking. A Pleyel, tout est fermé y compris le restaurant et, pour l'instant, nous ne facturons pas de loyers à Fimalac Entertainment, qui ne pourrait les payer.
Où en sont vos finances à ce stade ?
De mars à fin juin, 10 à 12 millions de recettes ont été détruites. Mais des coûts d'hôtels et de transports d'artistes ont été gommés et ce sont de gros postes. Généralement on engage 60 % de nos dépenses entre janvier et août et 40 % de septembre à décembre. On a tout fait pour diminuer les dépenses d'accueil, de sécurité, d'entretien. Pas toujours simple : ainsi notre exposition Picasso, censée démarrer début avril, a été décalée au 22 septembre et nous avons dû rallonger les périodes d'assurances car les oeuvres étaient arrivées avant le confinement. On misait sur plus de 10.000 visiteurs par semaine mais combien y en aura-t-il alors que le nombre de gardiens à prévoir, lui, ne dépend pas du public mais de la valeur des oeuvres. Sur le plan du personnel, un établissement public, comme la Philharmonie - ou en régie directe - ne peut mettre ses salariés au chômage partiel : on a assumé le salaire intégral de nos musiciens de l'Orchestre de Paris, contrairement à des institutions au statut associatif, tels l'Orchestre d'Ile-de-France, l'Orchestre de chambre de Paris, le théâtre du Châtelet et les centres dramatiques nationaux, qui ont pu recevoir une aide publique spécifique même si leur budget est déjà couvert majoritairement par des subventions. Et nous avons indemnisé les artistes internationaux programmés, alors que certaines salles européennes ont considéré que l'épidémie constituait un cas de force majeur autorisant de se dégager de toute charge.
Au total à combien estimez-vous vos pertes et cela remet-il en question vos projets ?
On table sur un déficit compris entre 5 et 7 millions d'euros d'ici la fin de l'année, compte tenu de l'incertitude sur l'automne. L'exploitation sera en mode dégradée en septembre et octobre, plus proche de la normale en novembre et décembre, avec 80 % des recettes habituelles envisagées. Heureusement, sur les 1,4 millions de visiteurs reçus en 2018 à la Cité de la musique-Philharmonie de Paris, 10 % seulement étaient étrangers et 15 % venaient d'autres régions que l'Ile-de-France. Une situation enviable comparée à Orsay ou à Versailles qui reçoivent 80 % d'internationaux en temps normal. En outre nos mécènes devraient globalement reporter leur soutien sur la prochaine saison. Pour l'instant, nous ne remettons aucun projet en cause, en particulier la Philharmonie des enfants dont nous décalons simplement l'inauguration de février à septembre 2021.
Par rapport à d'autres pays, le secteur culturel français s'en sort-il mieux ?
La France est certainement celui des pays européens fortement victimes de la pandémie dont l'écosystème culturel a le mieux résisté à la crise. Seule l'Allemagne peut...
Lire la suite sur lesechos.fr