Alors que la ministre de la Culture organise les États généraux des Festivals à Avignon, vendredi et samedi, le patron du Hellfest à Clisson, l'un des plus gros festivals de France avec 180.000 spectateurs pour 25 millions d'euros de budget, est très inquiet.
LE FIGARO.
Où en êtes-vous en cette fin septembre ?
Ben BARDAUD.
- C’est le grand vertige. Comme les très grandes salles de concerts qui accueillent des dizaines de milliers de spectateurs avec un public debout, nous souffrons d'un manque de visibilité totale. Ce type de concert et les grands festivals comme le nôtre et les Vieilles Charrues sont ceux que l'État a interdits tout de suite. En termes de jauge, nous avons réfléchi à trouver des solutions mais il n'y a rien à faire. Le rock et le metal ne peuvent pas se faire avec un public assis. Il nous reste neuf mois avant l'édition 2021 du Hellfest, les 18,19 et 20 juin où sont attendus des groupes tels Deep Purple, Faith no More, System of a Down, Deftones et Judas Priest. Je garde espoir mais je crains le pire. Je déciderai début janvier si nous pouvons prendre le risque de nous lancer en production. Vous verrez cela pareil pour les tournées internationales de stars comme Elton John et Céline Dion. Ils déplacent des équipes tellement importantes et les enjeux financiers sont tels qu’eux aussi ont besoin d'un minimum de six mois de visibilité.
Pourquoi l'édition 2021 est-elle plus risquée ?
Cette année, je pouvais compter sur un remboursement d'une partie de mon préjudice par notre assureur. Nous ne nous sommes pas encore mis d'accord mais nous progressons pour trouver un terrain d'entente. Je peux aussi compter sur les aides de l'État pour le chômage partiel. J'ai 22 salariés, nous n'avons pas pu travailler depuis mars, pas un centime n'est entré dans les caisses. Jusqu'ici, mon équipe était à 50% de chômage partiel, là, je suis obligé de passer à 30%. C'est très difficile dans ces conditions de garder les salariés motivés. Il y a la crainte, c'est pesant. Il est difficile de travailler dans cette ambiance. Si je lance la production du Hellfest 2021 et qu'en mars, nous sommes obligés d'annuler, nous aurons travaillé pour rien et des millions d'euros de dépenses notamment en décors vont s'accumuler. Mais cette fois, je n'aurai personne vers qui me retourner. Je suis quasi 100% autofinancés avec seulement 15.000 euros d'argent public sur 25 millions d'euros. Je ne toucherai rien de mon assureur et rien de l'État qui me dira « vous n'auriez pas dû faire travailler vos salariés et vos prestataires. » J'attends un rayon de soleil qui donne des raisons d'espérer.
À quel rayon de soleil, pensez-vous ?
À une diminution significative de la pandémie. Le retour aux zones « vertes » dans toute la France et en Europe. La réouverture de nos frontières pour les artistes Américains. Un test facile à faire, rapide et efficace que nous pourrions demander aux festivaliers juste avant d'arriver au Hellfest. Ou encore mieux, un médicament, un vaccin.
Comment réagit votre public ?
Ils sont d'une loyauté exemplaire. Moins de 0,1% a demandé le remboursement de leurs billets pour l'édition annulée en 2020. Soit moins de 300 festivaliers. Je sais donc que je suis déjà complet pour juin prochain. Cela me donne une trésorerie solide. Mais rien ne dit que les festivaliers réagiront toujours aussi généreusement si 2021 est également annulé. Grâce au public, j'ai pu passer le cap d'une année blanche. Subir une seconde annulation, cela sera plus dur. Pour autant, vu leur fidélité et leur loyauté, je pense que si je dois passer par une opération de crowdfunding, ils répondraient présents. Les amateurs de métal adorent vraiment le Hellfest.
Que vous disent les artistes ?
Nous travaillons essentiellement avec l'international. Les Américains sont sceptiques et inquiets. Ils sont obligés d'y croire, ils n'ont pas le choix car ils touchent leurs plus gros cachets avec les tournées d'été dans les festivals.
La ministre de la Culture a débloqué 220 millions pour aider le spectacle vivant privé, avez-vous touché une part de cette aide ?
Je suis très reconnaissant à la ministre d'avoir débloqué cette somme mais quatre semaines plus tard, pas un centime n'a encore été distribué. Les effets d'annonce du gouvernement, c'est très bien mais la lourdeur administrative fait que nous n'avons encore rien touché. Or il faut déjà penser à comment aider le spectacle vivant pour 2021. Je suis particulièrement inquiet pour toutes les PME spécialisées dans le son, la lumière, le traiteur, les décors, les effets spéciaux. Si ce microcosme fait faillite maintenant, c'est une catastrophe. Nous ne sommes rien sans eux. Nous ne savons pas brancher un ampli, faire de la menuiserie et préparer la cuisine. Il faut penser et organiser les choses tout de suite. Le Hellfest comme Les Vieilles Charrues sont certes très gros mais ce sont des colosses aux pieds d'argile.
Qu'attendez- vous de ces États généraux ?
Parler d'écologie et de diversité, c'est très sympathique mais l'urgence n'est pas là. La seule question qui vaille, c'est que fait-on si 2021 est sinistrée comme 2020. Et là, impossible de répondre. Je n'attends pas grand-chose de...
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