Pour le metteur en scène, directeur de la Comédie de Saint-Etienne et de son Ecole supérieure d'art dramatique, la période actuelle constitue une opportunité de se réinventer. Pour l’heure, il dresse le bilan et explique à Culturelink les conséquences de la crise sur les activités de son CDN.
Quelles conséquences la crise sanitaire a-t-elle sur...
... le CDN et sa saison ?
La conséquence première : nous sommes fermés au public mais en même temps on est toujours au travail. C’est une activité très particulière de faire fonctionner une école et un théâtre sans public. Nous sommes prêts à redémarrer quand il le faudra. Mais on vit une crise qui va affecter le monde de la culture de manière profonde et longue. On va vivre avec ce virus pendant de longs mois.
La question principale : est-ce que les plateaux vont réouvrir ? Est-ce qu’on peut reprendre une activité de répétition ? On voit mal des comédiens jouer avec des masques sur scène et se tenir à un mètre de distance. On est dans l’acceptation de l’inconnu, on a arrêté la course aux plannings. Il faut accepter de ne pas être dans la planification à long terme. Il y a de grandes chances pour qu’il n’y ait pas de brochure de saison ; ça serait complètement de la science-fiction de faire partir des brochures dans les boîtes aux lettres des gens.
... le CDN et son public ?
On a d’abord refusé le tout numérique. Ce qui nous manque, c’est le fait de ne plus pou-voir nous réunir. Nous avons vraiment pris le temps de la réflexion. Nous avons acté sur le fait qu’on ne mettrait pas à disposition des diffusions. Nous produisons des formats qui sont inédits. Pour le moment on voit comment ça avance. On avait quand même envie de garder un contact avec le public, avec une Lettre au public, qui réunit les premières pro-positions artistiques des élèves de l’école. L’idée étant de maintenir du lien, et en même temps résister à la peur du vide, en travaillant différemment.
... vos créations et les coproductions du CDN ?
La dernière création est sortie trois jours avant le début du confinement, c’est une chance. Nous n’avions pas d’autres grands chantiers de production. La prochaine création c’est celle de Yoann Bourgeois. Il commence à répéter fin août, en théorie. Mais est-ce que les artistes auront le droit de répéter sur les plateaux d’ici là ? Moi c’est ça qui m’inquiète : que cette situa-tion sanitaire nous empêche de maintenir ces répétitions.
... vos productions en tournée ?
C’est la catastrophe : nous avions deux productions en tournée, dont une à Colmar. La question s’est posée si, oui ou non, nous pouvions y aller. Mais là c’est deux mois en l’air. La pandémie est un ca de force majeure, donc le contrat est nul. On a deux mois de tournée qui ont sautés.
... les artistes associés ?
C’est du cas par cas et c’est de la dentelle. À chaque artiste son problème d’une certaine manière. Entre ceux qui sont en tournée, en création… Ceux qui ont demandé un report, ceux qui ont demandé une annulation… Nous avons tout un tas de questions et d’inquiétudes pour la saison prochaine. Nous avons envoyé un signal de soutien très fort aux artistes les plus fragiles et précaires. Nous sommes d’abord sur une gestion sur le long terme. La crise risque de durer très longtemps. Ce qu’il faut sauver, c’est le travail. Mais je suis un peu pessimiste quant à une réouverture en septembre.
... vos projets à l'international ?
Nous avons un projet avec le Brésil en lien avec le Théâtre de la Colline, mais les frontières sont fermées. Donc combien de temps ça va durer ? Tout est pour le moment complètement gelé.
... l'école supérieure de théâtre ?
Les élèves travaillent en visioconférence. Mais, de toute façon, quand pourrons-nous reprendre des répétitions? Nous n’avons pas de consignes là-dessus. Donc, pour l’instant, les élèves font tout un tas d’autres choses.
… le diplôme d'Etat de professeur de théâtre que délivre le CDN ?
La question c’est comment on va pouvoir les diplômer ? Pour des comédiens ça n’a pas de sens de passer par le contrôle continu. Le concours est suspendu pour le moment. Ce n’est pas rien de faire rentrer 40 jeunes dans le théâtre. Toutes les sections sont cependant maintenues : les cours de chant, les cours de yoga… se passent en visioconférence. Je ne pensais pas que nous arriverions à maintenir l’activité à ce point-là. Nous n’allons pas tenir comme cela trois mois non plus. La crainte est de se dire : est-ce qu’on laisse entrer une promotion alors que celle-ci n’est pas sortie ? En plus, on a normalement l’habitude de diplômer nos élèves avec un spectacle de sortie. Le report des concours en septembre va faire des dégâts.
... les finances du CDN ?
D’un point de vue financier, nous on s’est dit, on va avoir des pertes de recettes importantes. Pour donner un exemple, rien que pour le mois de mars, les recettes des billette-ries s’élevaient à 90 000 euros (représentant 11 000 spectateurs), et les recettes de tournées à 120 000 euros. Pour le moment, nous enregistrons 220 000 euros de pertes. Nous nous sommes engagés à payer les sessions des compagnies. Nous sommes impactés d’un côté mais, de l’autre, des économies sont réalisées : les frais annexes des spectacles disparaissent. Les techniciens plateaux au chômage partiel. Plusieurs objectifs : protéger les plus fragiles et précaires. Nous essayons de ne pas foncer vers un déficit : nous ne savons pas quand la reprise va avoir lieu. Il faut que l’outil soit prêt à redé-arrer, d’une certaine manière, tout en maintenant une gestion la plus saine possible. On est amené à se réinventer complètement. C’est angoissant mais c’est aussi une opportunité.
Quel regard portez-vous sur l'avenir ?
Je pense que c’est une opportunité pour nous réinventer. Je ne joue pas la carte du catastrophisme, mais je n’essaie pas d’être dans la méthode Coué non plus. Mais, en même temps, vous faites les courses comme moi, les gens s’écartent les uns des autres, se lavent les mains tout le temps… Il faut aussi admettre que parfois on ne sait pas… C’est logique, c’est dans la nature humaine, les gens veulent des réponses. Je pense qu’on est au début de savoir comment cela fonctionne.
Propos recueillis par Léa Chevrel