Après avoir subi de plein fouet la vague de la numérisation et du téléchargement illégal, l’industrie musicale a réussi à se refaire une santé financière grâce au streaming payant. Les artistes, paradoxalement, n’en ont pas profité pleinement.
Le 21 septembre, le numéro un mondial de la musique, Universal Music Group (UMG), qui veille aux destinées des artistes les plus vendeurs de la planète, Drake, Justin Bieber, Ariana Grande, Lady Gaga, Kanye West et Rihanna, fera son entrée à la Bourse d’Amsterdam. Pour les investisseurs, la musique est devenue une affaire en or, ce qui n’allait vraiment pas de soi il y a encore quelques années.
Au moment où Vincent Bolloré a pris le contrôle de Vivendi, en 2014, la major valait 7 milliards d’euros. Lorsque Vivendi a cédé, en 2020 puis en 2021, un total de 20 % du capital d’UMG au chinois Tencent, la transaction s’est effectuée sur une base de 30 milliards d’euros. Au cœur de l’été, le fonds spéculatif de Bill Ackman a, à son tour, acquis 10 % du capital pour 3,5 milliards d’euros. Et le prospectus d’introduction en Bourse d’UMG à Amsterdam, publié mardi 14 septembre, précise : «La capitalisation boursière de la société sera d’environ 33 milliards d’euros au premier jour de cotation.» Mais certains analystes sont encore bien plus optimistes à long terme.
Cette opération dépossédera presque entièrement Vivendi de son plus bel atout puisqu’il ne conservera que 10 % d’UMG, dont les ventes croissent de 8 % à 10 % par an et qui affiche une excellente rentabilité. En revanche, la distribution prévue de 60 % d’UMG aux actionnaires de Vivendi constituera un fort joli coup financier pour l’homme d’affaires breton, qui récupérera en direct, via sa holding personnelle, Bolloré Group, 18 % du numéro un mondial de la musique.
Retour en grâce
Pourtant, le marché mondial de la musique sort à peine d’années de crise majeure. Flamboyantes, insouciantes et cousues d’or avant l’arrivée d’Internet, les entreprises du secteur ont été parmi les premières confrontées à la vague dévastatrice du téléchargement illégal. Et les majors, rincées, ont payé cher leur imprévoyance et leur absence d’anticipation de la mutation numérique. Le marché, qui culminait à son apogée, en 1999, à 28,6 milliards de dollars (21,8 milliards d’euros), selon la Fédération internationale de l’industrie phonographique, s’est effondré de 42,3 % en douze ans. Il a été donné pour moribond avant de se ressaisir depuis 2012 grâce à l’émergence du streaming payant, c’est-à-dire l’écoute en continu sur Internet, qui a permis petit à petit de monétiser à nouveau la musique.
En 2020, pour la sixième année consécutive, l’industrie de la musique enregistrée affichait, malgré la pandémie, une croissance de 7,4 % de son chiffre d’affaires, à 21,6 milliards de dollars. Fin 2020, grâce à 443 millions de comptes d’abonnement payants, le streaming représentait 62 % du total des revenus mondiaux de la musique enregistrée. Si bien que Spotify, Apple Music, Amazon Music et autres Deezer poursuivent leur croissance et n’ont pas senti la crise.
Ce stupéfiant retour en grâce séduit les investisseurs. Après neuf ans d’absence à Wall Street, Warner Music Group, l’une des trois majors mondiales, y a fait un retour gagnant depuis juin 2020. Le distributeur musical français Believe, lui, a fait son entrée en Bourse en juin, sur Euronext, avec un résultat encore modeste.
Phénomène nouveau, les catalogues de musique font aussi l’objet de spéculations effrénées. UMG a acheté les 600 chansons de Bob Dylan en décembre 2020 pour une somme non confirmée de 300 millions de dollars. Paul Simon a cédé son catalogue de hits, dont Mrs. Robinson, à Sony Music Publishing pour plusieurs centaines de millions de dollars. Ces prix stratosphériques incitent les chanteurs les plus cotés à vendre en masse leurs droits d’enregistrement. A l’instar de Taylor Swift, qui a monnayé une fortune ses six premiers albums à un fonds d’investissement qui a gardé l’anonymat.
Les perdants de la pandémie
Le secteur financier est très actif dans le secteur. KKR, l’un des fonds d’investissement les plus importants au monde, s’est allié au groupe allemand de gestion musicale BMG, à Concord ou encore Primary Wave. Ce dernier a acquis 80 % des droits de Stevie Nicks, la chanteuse du groupe Fleetwood Mac. Hipgnosis Songs Fund a aussi récupéré 145 chansons de Shakira, la moitié du catalogue de Neil Young et celui de The Red Hot Chili Peppers.
Cette envolée financière, qui profite à des pans entiers de l’industrie musicale, laisse en revanche sur le bord de la route...
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