Vinyles et CD ne se vendent plus de la même manière ni au même public qu’il y a dix ou vingt ans. Une réalité à laquelle les distributeurs de disques se sont adaptés sans négliger leurs partenaires historiques, les disquaires.
Superviser la fabrication des disques, convaincre des points de vente de les prendre, les acheminer, s’assurer qu’ils soient mis en avant dans les magasins. Pendant près d’un demi-siècle le métier de distributeur s’est globalement résumé à cette idée : faire le lien entre les labels et les disquaires. «“T’en as passé combien ?” était la principale question que nous posaient les maisons de disques», se souvient Gregory Pezard, directeur de Bigwax Distribution, l’un des plus gros distributeurs indépendants en France. Une autre époque, que ce quadragénaire a connue à ses débuts dans le métier, dans les années 2000. «Aujourd’hui, la question du nombre d’exemplaires mis en place est toujours importante mais n’est plus essentielle. La valeur ajoutée de notre métier, ce n’est plus de prouver qu’on a mis 10 000 disques à la Fnac, c’est l’accompagnement, le service et être capable de proposer différents canaux de distribution.»
Effondrement des ventes de disques, émergence du streaming, retour du vinyle, c’est peu dire que l’environnement dans lequel les distributeurs évoluent a été chamboulé ces vingt dernières années. «La transition numérique a été complexe pour les distributeurs», explique Céline Lepage, déléguée générale de la Félin, fédération nationale des labels et distributeurs indépendants. «Tous ne l’ont pas gérée de la même manière, certains se sont associés à des distributeurs numériques déjà existants afin de proposer une offre dématérialisée, d’autres ont développé la leur en traitant directement avec les plateformes de streaming, d’autres encore ont fait le choix de ne rester que sur le disque physique.» Et beaucoup ont disparu. Discograph, Chronowax, Nocturne, Cyber, Night & Day, M10, Venus, Mosaic, Atoll… La liste des distributeurs qui ont mis la clé sous la porte au tournant des années 2010 permet de mesurer l’ampleur du chamboulement.
De tailles diverses, ils sont encore une vingtaine d’acteurs à faire de la distribution physique en France. Si la plupart d’entre eux ont bénéficié du regain du vinyle, ceux qui se sont développés sont ceux qui ont su s’adapter à une nouvelle façon de consommer des disques. «Longtemps, le moteur de l’acquisition d’un disque, c’était l’accès au contenu», rappelle Frédéric Neff, consultant spécialisé dans la distribution. «On achetait un disque afin de pouvoir écouter la musique qui était dessus. C’est désormais un usage marginal. Aujourd’hui, la motivation principale est l’envie de posséder l’objet.» Des propos auxquels quelques études récentes, parfois étonnantes, ont fait écho, affirmant qu’une bonne partie des acheteurs de vinyles ne posséderaient pas de platines. Près de 50 % aux Etats-Unis, 20 % au Royaume-Uni. Aujourd’hui, on achète des disques pour les avoir chez soi, les collectionner, les contempler, les montrer, ou soutenir un artiste.
Le disque est-il devenu un simple produit dérivé ? La question fait un peu tiquer chez les distributeurs qui n’ont guère envie de comparer un album à un mug ou un poster, mais elle mérite d’être posée. Packaging de plus en plus soigné, coffrets garnis de photos, vinyles de couleur, éditions limitées… l’argument de vente d’un disque ne repose plus sur son seul contenu audio. On constate l’émergence de nouvelles habitudes de consommation de la part d’un public plus jeune, «qui cherche des produits dédicacés, qui veut un sweat-shirt avec son vinyle», comme le schématise Ralph Pereira, directeur commercial chez Integral, le service de distribution du groupe Pias. «Aujourd’hui, il y a deux types d’acheteurs d’objets disques. Des personnes de plus de 40 ans, qui ont toujours consommé du CD et du vinyle, et une nouvelle génération qui a découvert la musique en format dématérialisé.» Or, ces derniers constituent justement la majeure partie des consommateurs de vinyles en France. D’après le Snep, Syndicat national de l’édition phonographique, 54 % d’entre eux auraient moins de 35 ans. Mais pour cette tranche d’âge biberonnée au e-commerce, le passage en magasin n’est pas toujours le cheminement le plus logique, plébiscitant des achats directement sur les boutiques en...
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