ANALYSE - La place des femmes, les guerres, les réfugiés... la 76e édition du festival d’Avignon fera la part belle aux thématiques actuelles. Avec la Russie et Tchekhov en ouverture, et le concert des Dakh Daughters ukrainiennes en fermeture.
Voilà, nous en avons la confirmation: le 7 juillet, le metteur en scène russe Kirill Serebrennikov ouvrira bien le 76e Festival d’Avignon à la Cour d’honneur du Palais des papes avec Le Moine noir (The Black Monk), une nouvelle de Tchekhov qu’il a créée en janvier dernier au Thalia Theater de Hambourg (Allemagne). C’est ce qu’a annoncé hier jeudi Olivier Py, le directeur du Festival d’Avignon lors de la conférence de presse retransmise en direct depuis la FabricA.
En 2021, malgré la pandémie, il avait maintenu la 75 édition du In, y avait même ajouté un jour de plus (vingt et un) et proposé 45 spectacles. Avec succès, le taux de remplissage des salles était de 84 %. «Un festival est un combat avant tout, lance-t-il, sa dimension politique n’a cessé de grandir. Avignon est le lieu de tous les témoignages sur le monde… qui n’est pas très en forme.»
«Je n’ai pas tenu à faire un festival célébratif ou commémoratif»
À la tête du In depuis 2013, Olivier Py s’est «amusé» à intituler sa dernière édition «Il était une fois», une formule «qui commence et termine quelque chose». Il refuse de parler de bilan encore moins de le déposer. Nous en saurons plus le 26 juillet, jour de la fin du festival. Quel suspense! «Je n’ai pas tenu à faire un festival célébratif ou commémoratif», prévient-il. Son cœur n’est pas à la fête en raison de la guerre en Ukraine. Neuf ans de contes de fées? lui demande-t-on. «Ce n’est pas du Walt Disney! s’exclame-t-il, ce serait plutôt les contes de Grimm car, parfois, l’aventure a été triste. Mon pire souvenir fut l’annulation du festival en 2020.»
Nous connaissons le successeur d’Olivier Py. Il s’agit du metteur en scène portugais Tiago Rodrigues (c’est la première fois qu’un étranger présidera aux destinées de cette manifestation). Il avait fait l’ouverture du festival en 2021 avec La Cerisaie de Tchekhov et verra cette fois sa version d’Iphigénie montée par Anne Théron. Py a confiance en lui: «Tiago inventera sa définition du festival, je me contenterai de lui donner les clefs.» Cette année, le directeur prévoit 180 propositions (théâtre, performance, danse, expositions, lectures,…). Dont 46 spectacles - parmi lesquels plusieurs reprises, «donc 46 triomphes, pourquoi pas?», s’enthousiasme le dirigeant sur le départ. Plus sérieusement, il ajoute qu’«il y aura 270 levers de rideaux. Ce sont les artistes qui font la mémoire du festival!»
Programmation éclectique
Deux thématiques importantes se dégageront cette année. La place des femmes, «leurs rapports avec la guerre, le deuil, et la présence du Moyen-Orient avec quatre spectacles palestiniens, deux libanais et un iranien. L’affiche du festival a par ailleurs été réalisée par une artiste réfugiée afghane, Kubra Khademi qui a lutté contre les talibans. Ces derniers ont interdit l’école aux filles depuis mercredi.» La programmation est éclectique avec notamment Richard II, de William Shakespeare mise en scène par Christophe Rauck avec Micha Lescot dans le rôle-titre. Autre pièce du dramaturge, La Tempête (La Tempesta) revisitée par Alessandro Serra.
Et encore Histoire(s) du théâtre IV: One song de la metteuse en scène flamande Miet Warlop qui s’interroge sur la vie, la mort et l’engagement, Solitaire de Lars Noren par sa compatriote, la réalisatrice Sofia Adrian Jupither, En transit, inspiré d’un roman d’Anna Seghers et mis en scène par Amir Reza Koohestani donné à Genève en février, Anaïs Nin au miroir d’Agnès Desarthe, L’Orée du bois, de et avec Pierre-Yves Chapalain, portrait d’un couple de citadins, etc. Côté danse, on notera la présence de Jan Martens (Futur proche) qui se produira dans la Cour, mais aussi de François Chaignaud, Maud Le Pladec, Oona Doherty ou Dada Masilo. En ce qui concerne Molière dont on célèbre le 400e anniversaire de la naissance: rien.
Mais Olivier Py ne s’est pas oublié. Pour son dernier mandat, il présentera deux spectacles dont une création, Ma jeunesse exaltée, quatre pièces sur le personnage d’Arlequin «pour célébrer la génération qui vient, il durera autour de dix heures». Et Miss Knife et ses sœurs, où Olivier Py, dans son costume de Miss Knife, se produira en concert pour clore le festival avec Angélique Kidjo et les Dakh Daughters, ces chanteuses ukrainiennes qui ont interprété l’hymne des manifestants place Maidan, à Kiev, à l’hiver 2013. «Une idée née quand on a appris que le conflit était devenu inévitable», souligne Py.
La cour d’honneur pour Serebrennikov
Viendra, viendra pas dans la Cour d’honneur? Pour la première fois depuis 2017, Serebrennikov avait été autorisé de manière très surprenante à venir passer quelques jours à Hambourg en janvier dernier pour la création du Moine noir de Tchekhov, qui doit ouvrir le Festival d’Avignon en juillet. Si on l’espère dans la Cité des papes, il reste en effet toujours interdit de sortie de Russie - il est accusé de détournement de fonds publics. «Je suis heureux qu’on ouvre avec un spectacle russe. Il y a longtemps que j’espérais y voir Kirill Serebrennikov. On finira avec des chanteuses ukrainiennes», a déclaré ce jeudi en équilibriste plénipotentiaire Olivier Py, ruban bleu et jaune accroché au revers de la veste.
Lui collabore avec le metteur en scène et réalisateur mis à l’index par le régime russe depuis le tournage de son film Leto, en 2017. Que ce soit à Avignon ou au Festival de Cannes, Serebrennikov, 52 ans, est le créateur russe qui a la carte, ses pièces et ses films alimentant régulièrement les sélections et les programmations françaises. Il est d’ailleurs sur le point de tourner l’adaptation de Limonov, d’après le livre d’Emmanuel Carrère. «On a commencé à réfléchir ensemble voici deux ans, je lui ai laissé toute liberté du choix de l’œuvre, en collaboration avec le Théâtre Thalia de Hambourg», explique Olivier Py. Le patron d’Avignon a toutefois été surpris que le metteur russe choisisse Le Moine noir de Tchekhov, une nouvelle méconnue. «C’est toujours la possibilité pour Kirill Serebrennikov de projeter son aventure autobiographique, un étrange dialogue entre un artiste et une créature fantomatique, le moine noir, sur le processus destructeur», analyse-t-il.
Enfant terrible du théâtre russe
Kirill Serebrennikov s’était déjà distingué au Festival d’Avignon. En 2015, il avait mis en scène Les Idiots d’après Lars von Trier. Un an plus tard, il avait...
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