Des personnalités du monde de l’audiovisuel et de la culture, parmi lesquelles, Dominique Besnehard, Jérôme Clément, Annie Ernaux, Pascale Ferran, Julie Gayet, Michel Hazanavicius, Agnès Jaoui, Bruno Solo, s’adressent dans une tribune au « Monde » à Emmanuel Macron pour exprimer leur opposition à la suppression de la redevance audiovisuelle qui promeut la culture et protège la démocratie.
Tribune. Albert Camus a écrit : « Tout ce qui dégrade la culture raccourcit les chemins qui mènent à la servitude. » La culture était, comme trop souvent, l’absente de la campagne présidentielle. Jusqu’à ce que le président de la République reprenne comme première proposition le seul mot d’ordre culturel des candidats d’extrême droite : « Il faut supprimer la redevance ».
Alors, oui, nous sommes en colère. La redevance n’est pas un impôt de plus. C’est le lien indéfectible qui nous unit au public. C’est un pivot de la vie artistique, culturelle et démocratique française.
La supprimer, c’est menacer le financement de quasiment tous les documentaires en France. C’est mettre en péril les deux tiers de nos séries et fictions françaises. C’est attenter à la grande majorité des dessins animés français que regardent nos enfants. Dans le monde entier, on jalouse nos films et notre industrie audiovisuelle, et le président-candidat veut la dégrader, voire la détruire ?
Des principes intangibles
Nous, femmes et hommes, journalistes, producteurs, acteurs, cinéastes, réalisateurs, écrivains et intellectuels, prenons la plume pour défendre des valeurs fondamentales. Pour nous, le public et le privé ce n’est pas pareil. Ce ne sera jamais pareil.
Grâce à la télé et à la radio publiques, et grâce à elles seules, nous pouvons écouter des heures de musique, nous pouvons voir des films différents, nous pouvons découvrir des écrivains, des artistes, débattre des idées, nous éveiller aux mystères des sciences. Combien de millions de Français sont entrés pour la première fois dans une salle de théâtre, d’opéra ou de concert grâce à la radio et à la télé publiques ? On peut faire plus – et on le souhaite. On ne doit pas faire moins.
Nous défendons des principes qu’on voudrait intangibles comme l’indépendance de l’information. Fournir une information fiable, de qualité, sans se soucier des pressions des pouvoirs économiques ou politiques, voilà la mission des journalistes du service public. On peut critiquer leur travail, mais à l’heure où la démocratie est partout mise à mal et où l’on met au pas les médias, quelles sont les rédactions qui demain seront libres de faire de l’investigation comme le font celles de Radio France ou de France Télévisions ?
Nous défendons l’âme de la démocratie. Informer, éduquer, divertir, telles sont les missions de l’audiovisuel public, ce secteur protégé et garanti depuis la seconde guerre mondiale par la redevance. De Matteo Salvini à Boris Johnson, en passant par l’Union démocratique du centre (UDC), en Suisse, tous les populistes ont pris pour cible cette redevance qui offre bien trop d’indépendance à l’audiovisuel public.
Une des plus faibles de toute l’Europe
Partout, les démocrates européens se sont levés pour défendre son intégrité et garantir sa pérennité. La redevance française est l’une des plus faibles de toute l’Europe (en Allemagne, par exemple, l’audiovisuel public est deux fois mieux financé). Justifier sa suppression par un gain de pouvoir d’achat est une piètre illusion, au moment où la hausse des prix avalera en quelques semaines ces euros gagnés.
Privé d’un financement autonome et pérenne, l’audiovisuel public sera soumis, année après année, aux régulations budgétaires des technocrates de Bercy. Ainsi devenu une administration, l’audiovisuel public n’aura d’indépendance que le nom. Quant au retour de la publicité, il n’est ni une garantie de financement, ni une chance d’améliorer la qualité de nos programmes.
Nous ne nous résignons pas à la remise en cause de l’indépendance du service public. Nous pouvons encore faire reculer les candidats. Dans une campagne hantée par la guerre, nous avons la folle audace de défendre la culture et l’information. Car, comme l’écrivait Sigmund Freud, « tout ce qui travaille à la culture travaille aussi contre la guerre »...
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