L’Etat distribuera 350 millions d’euros en 2023 pour doubler la capacité d’accueil de l’activité cinématographique et audiovisuelle en France.
L’annonce, lors du dernier Festival de Cannes, d’un pactole exceptionnel de 350 millions d’euros affecté, dans le cadre de France Relance, au doublement des capacités de tournage cinématographique et audiovisuel en France, ainsi qu’à la formation, donne des ailes à de nombreux opérateurs. Pour tenter de combler son retard, la France a lancé une initiative de très grande envergure visant à attirer plus de tournages internationaux, de permettre à davantage de films français d’être tournés dans l’Hexagone, notamment en Ile-de-France, dans le Nord et dans l’arc méditerranéen. Piloté par la Caisse des dépôts et consignations (CDC) en lien avec le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), l’appel d’offres à « la grande fabrique de l’image » a été largement suivi. Au total, 175 candidatures ont été déposées fin octobre au CNC. La liste des grands gagnants ne devrait pas être donnée avant mars 2023.
Cette manne pourrait permettre de débloquer le dossier épineux des studios de Bry-sur-Marne (Val-de-Marne), repris à prix fort en 2017 par le promoteur Nexity, qui souhaitait y créer des immeubles d’habitation. Répondant au tollé des professionnels et des politiques pour que le site reste consacré aux tournages, le groupe immobilier pourrait céder dans les prochaines semaines à Sienna Investment (Groupe Bruxelles Lambert) et à Artset (la société de conseil de Guillaume de Menthon) les douze hectares sur lesquels sont implantés les sept studios. « Les nouveaux investisseurs souhaitent les moderniser et doubler leur surface », précise Pascal Bécu, directeur de ces studios.
Après une période noire – les années 2000 –, pendant laquelle « les producteurs français avaient délocalisé leurs films en Europe de l’Est », rappelle M. Bécu, la création d’un crédit d’impôts et surtout la demande exponentielle de séries destinées aux plates-formes ont radicalement modifié la donne. Et rendu les studios à nouveau attractifs. « On est à saturation pour les tournages dans Paris intra-muros », confirme Michel Gomez, délégué général de la mission cinéma de la Ville de Paris. « Avec les Jeux olympiques, nous subirons pendant l’été 2024 des restrictions de tournages de grande ampleur », prévient-il. D’où l’importance des backlots, ces reconstructions de rues dans des studios.
La France dépassée par ses voisins
Faute d’investissements, la France s’est laissé dépasser par ses voisins et ce retard a pris des proportions abyssales par rapport aux Britanniques. Entre 2020 et 2021, 2 milliards de livres (2,33 milliards d’euros) ont permis de rénover et d’augmenter l’offre au Royaume-Uni. Si bien que 360 000 mètres carrés de plateaux – notamment ceux de Pinewood, Warner Leavesden ou Shepperton – y sont commercialisés, soit 6,2 fois la capacité hexagonale (58 000 mètres carrés). « Le Royaume-Uni constitue le plus beau porte-avions du cinéma américain, les studios y obéissent à une logique industrielle », ajoute M. Gomez, « en signant des accords à long terme avec les studios hollywoodiens ou les plates-formes – comme Netflix avec les studios de Shepperton – pour sécuriser leurs capacités de tournages ».
En Italie, aussi à Cinecitta, quelque 300 millions d’euros de fonds européens ont permis la construction de cinq nouvelles scènes et l’agrandissement de huit plateaux. L’Allemagne, avec Babelsberg, MMC et les studios de la Bavaria, offre aussi 156 000 mètres carrés de studios et la Hongrie 62 000 mètres carrés. Selon une étude du CNC, la France propose moins de studios que ses concurrents et manque cruellement de blacklots.
Une trentaine de dossiers spécifiques aux studios ont été déposés dans l’appel à projets. Parmi eux, TSF, déjà présent sur le site de Brétigny-sur-Orge, travaille de longue date à la création de douze studios de grande taille sur cinquante hectares à Coulommiers (Seine-et-Marne). « Ils auront une spécificité unique en Europe : la réalisation de séquences aériennes en utilisant les pistes d’atterrissage d’un aérodrome opérationnel », souligne Thierry de Segonzac, PDG de TSF. Ce site, qui sera le plus important de France en 2024, proposera aussi bien un décor de cellule d’Airbus A300 que des wagons SNCF ou de métro parisien. Et la reconstitution d’un micro-quartier du Paris haussmannien avec quatre-vingts façades d’immeubles. Thierry de Segonzac espère que France 2030 lui permettra de financer une mise aux normes très exigeantes en matière d’environnement de ce projet (ce qui représente 20 % du budget total). Il parie avec ce nouveau site sur un doublement de son chiffre d’affaires et vise près de 80 millions d’euros en 2026.
Carnet de commandes plein jusqu’à fin 2023
De son côté, Olivier Marchetti, fondateur de Provence Studios, a déposé trois dossiers. L’un est destiné à quasiment doubler la capacité de son navire amiral, à Martigues (Bouches-du-Rhône), afin de continuer à accueillir des films français et américains ainsi que des grosses séries. Un impératif puisque son carnet de commandes est plein jusqu’à fin 2023, ce qui l’a contraint à refuser deux séries américaines. A Port-de-Bouc (Bouches-du-Rhône), juste à côté, en association avec le groupe immobilier Barjane, cet homme d’affaires veut transformer une friche industrielle pour y créer quatre studios et des ateliers destinés à des locations de longue durée « comme Netflix à Pinewood ». Enfin, dans le droit fil des annonces faites par Emmanuel Macron en septembre 2021 à Marseille, M. Marchetti souhaite récupérer une partie de l’ancien site de Générale Sucrière (aujourd’hui Saint Louis Sucre) pour y bâtir, là encore, des nouveaux studios.
A Montpellier également, les projets accélèrent avec France 2030. Antoine Pietrera, directeur général du groupe immobilier SPAG espère obtenir une aide financière pour son projet, évalué au total à 180 millions d’euros, de studios, de backlots et de centre de formation répartis sur trois sites.
Si tous les projets éclosent, y aura-t-il assez de tournages pour que tous en vivent ? Pour Olivier Marchetti, « les voyants sont au vert encore pour dix ans, avant une probable concentration des plates-formes ». Il redoute davantage une remise en cause du crédit d’impôt international, qui accorde 30 % de bonus jusqu’à 30 millions d’euros de budget et 40 % si 2 millions d’euros d’effets spéciaux sont effectués sur le sol français. Cet avantage fiscal a permis de...
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