La ministre, qui présente ses vœux aux acteurs du secteur ce lundi, a dit vouloir faire des quartiers populaires et des zones rurales sa priorité. Les professionnels, de plus en plus ouverts à la dimension sociale de l’art, expérimentent déjà des dispositifs allant dans ce sens.
Depuis sa nomination inattendue au gouvernement, Rachida Dati a surpris une partie du secteur en centrant son discours sur l’accès à la culture lors de ses visites aux Ateliers Médicis de Clichy-Montfermeil (Seine-Saint-Denis) et à Nontron (Dordogne), en ciblant prioritairement les banlieues populaires et les zones rurales. Et sans faire de spéculations outrancières, on peut supposer que Rachida Dati reviendra sur cette thématique lors de ses vœux à la culture ce lundi 29 janvier à 19 heures en direct de la Cité de l’immigration, à Paris, autre lieu hautement symbolique. «C’est la première fois à ma connaissance qu’une ministre de la Culture, dans son discours de passation, place au même niveau d’attention [ces deux territoires], note le directeur de l’Ecole nationale des arts décoratifs (Ensad), Emmanuel Tibloux, à l’initiative de la formation originale «design des mondes ruraux» implantée dans la sous-préfecture de la Dordogne, 3 000 habitants. «Elle aurait pu réserver ses premiers déplacements à Notre-Dame et aux JO. Elle a choisi Clichy-Montfermeil et Nontron, et à travers ces deux symboles, des territoires périphériques que les ministères précédents n’ont, eux non plus, pas toujours bichonnés», souligne Fred Sancère, directeur de Derrière le hublot (scène conventionnée d’intérêt national − art en territoire), qui œuvre depuis l’Aveyron, à Capdenac-Gare (4 500 habitants).
Alors bien sûr, «attendons de voir», soufflent plusieurs interlocuteurs. Mais cette insistance sur la «culture pour tous» invite à en requestionner la définition, à l’heure où les défis liés à la «démocratie culturelle» ont changé depuis les années Lang, les crises du Covid et des gilets jaunes. Comment y répondre ? En prenant déjà ses distances avec la droite dure version Laurent Wauquiez, président de la région Auvergne-Rhones-Alpes, qui jouait de l’opposition binaire entre «nantis des villes» et «délaissés des campagnes» pour sabrer dans ses budgets culture au printemps. Si, lors de son déplacement à Nontron le 22 janvier, Rachida Dati lançait d’abord un racoleur «la culture, c’est pas Paris !» elle rectifiait aussitôt : «C’est pas que Paris.» Selon le politologue Emmanuel Wallon, les conditions ne semblent de toute façon pas réunies pour que la nouvelle ministre, dans le temps qui lui est imparti avant les municipales et avec les dossiers transversaux qui l’attendent au Parlement européen (le droit d’auteur face aux intelligences artificielles notamment), opère un significatif «rééquilibrage territorial» des crédits : «Les budgets tels qu’ils sont fléchés le sont majoritairement vers les 80 opérateurs de grande importance qui sont sous tutelle directe du ministère, et dont une grande partie se situe à Paris ou en Ile-de-France.» Candidate à la mairie de la capitale, Rachida Dati ne risque pas de déshabiller la BNF ou le centre Pompidou.
Initiatives locales
Alors quels leviers pour «désenclaver», selon le mot-clé utilisé par la nouvelle ministre ? A Nontron une journaliste radio taxait de «vieilles recettes» les pistes servies par Rachida Dati, qui égrenait ses souvenirs de «bibliobus» passant au pied de la cité de son enfance de Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire) et les bénéfices des maisons des jeunes et de la culture (MJC), centrées sur les pratiques amateurs et les projets participatifs. La nouvelle ministre, outrée de la remarque : «Des vieilles recettes ? Les MJC, des vieilles recettes ? Vous avez des enfants, madame ?»
Les recettes de ces maisons culturelles de proximité sont «vieilles» en effet, elles datent de 1948, mais ont-elles suffisamment servi ? Les 1 000 associations d’éducation populaire qui comptabilisent près de 4 millions d’adeptes partout sur le territoire, essentiellement en milieu rural et dans les quartiers populaires, ont longtemps été «injustement dévalorisées», avance l’observateur des politiques culturelles Emmanuel Wallon. Hier encore, face à la famille du «socioculturel» à laquelle appartiennent les MJC, nombre d’acteurs culturels brandissaient le risque de fragilisation de l’excellence, le spectre de la démagogie, voire du populisme. Pourtant depuis plusieurs années, «beaucoup relativisent cette opposition doctrinale entre éducation populaire et création subventionnée, poursuit le politologue. Changement de génération mais aussi tournant idéologique : aujourd’hui, on privilégie la participation du plus grand nombre possible à l’art, non seulement via le partage des grands chefs-d’œuvre, mais aussi à travers des pratiques plus inclusives». Une nouvelle frange d’artistes et d’acteurs du monde culturel entend à présent prendre part au «virage social de l’art». Virage dont il existe une traduction législative depuis 2015 avec l’inscription des «droits culturels» dans la loi Notre. En bref : moins penser les gens comme des destinataires mais plutôt des acteurs culturels.
«Très chiche»
Outre les MJC, on doit beaucoup cette philosophie aux friches artistiques qui, depuis les années 80, se sont elles aussi érigées contre une vision de l’art axée sur la prescription et prônent la convivialité des lieux de vie. Parmi elles, Mains d’œuvres, installée dans un ancien établissement de l’équipementier Valeo à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) et menacée d’expulsion par le maire UDI William Delannoy en 2019.
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