« Malgré le confinement, il se passe beaucoup de choses dans les salles de spectacle, les théâtres et les opéras », observe dans sa chronique Guillaume Fraissard, chef du service culture du « Monde ».
Chronique. Dans les rues, des librairies fermées mais des chocolatiers et des cavistes ouverts. Dans les supermarchés, des rayons culture – mais aussi jouets, vêtements ou cosmétiques – mis sous une cloche de Cellophane tandis que, sur la Toile, les marchands peuvent expédier leurs colis sans aucune entrave.
Depuis le vendredi 30 octobre et le début d’un deuxième confinement annoncé deux jours plus tôt par Emmanuel Macron, la fronde des librairies – et des commerces jugés « non essentiels », comme les disquaires par exemple –, illustre le désarroi d’un secteur culturel une fois de plus déboussolé par une nouvelle période sans public. Déboussolé mais pas désœuvré et lui non plus pas exempt de tâtonnements et d’improvisations dans un contexte inédit où chacun tente de trouver des repères sur des sables mouvants.
Contrairement au printemps, il se passe beaucoup de choses à l’intérieur des salles de spectacle, des théâtres et des opéras, malgré le confinement. Chassez la culture, elle repousse comme du chiendent. Des répétitions, des présentations de pièces – parfois devant un petit public de journalistes, de programmateurs et de directeurs de scènes –, des enregistrements de disques et de nombreuses captations. L’autorisation laissée aux artistes de faire leur « travail préparatoire » pendant le reconfinement se transforme ainsi en occasion de jouer pour des spectateurs assis chez eux devant leur écran. Et ce à une échelle beaucoup plus grande et plus organisée qu’en mars et avril. La vie grouille derrière les rideaux baissés.
Les lignes sont en train de bouger
A la Comédie-Française, à l’Espace Cardin, à l’Opéra de Bordeaux ou de Rouen, au Théâtre Monfort et dans des dizaines d’autres lieux, le spectacle vivant tente de le rester grâce au streaming gratuit et à la diffusion en direct ou en différé de spectacles joués à huis clos. Un pis-aller certes, en attendant des jours meilleurs. Mais outre que ce maintien d’une activité est économiquement essentiel pour de nombreux intermittents, il trace peut-être un chemin à explorer pour les mois et les années à venir.
« Pourquoi la plupart des théâtres sont-ils fermés pendant tout l’été et les vacances scolaires ? », se demandait, début septembre dans un entretien au Monde, Emmanuel Demarcy-Mota, le directeur du Festival d’automne. De là à imaginer que certaines des expérimentations actuelles – notamment ce partage avec le public d’un travail en cours d’élaboration et ce brassage entre réel et virtuel – puissent trouver une forme de pérennité quand la crise sanitaire aura desserré son emprise sur la vie artistique, il n’y a peut-être qu’un pas.
Il est bien sûr encore trop tôt pour savoir comment les expériences nées dans les contraintes de l’épidémie de Covid-19 irrigueront durablement les pratiques culturelles de demain. Comment penser l’avenir quand il est déjà bien compliqué d’imaginer le présent ? Les lignes sont pourtant déjà en train de bouger.
Les récentes rumeurs d’une tentative de vente aux plates-formes (Netflix, Amazon Prime…) par le studio MGM du prochain James Bond sans cesse repoussé, Mourir peut attendre, pour la coquette somme de 600 millions de dollars, confirme qu’un changement de paradigme est bel en bien en cours dans l’industrie du septième art.
En musique, la tendance des concerts virtuels payants semble trouver grâce auprès d’artistes privés de tournées pendant sans doute encore de long mois. Elle est loin d’être anodine. Le groupe de K-pop coréen BTS s’y est essayé en juin, avec succès puisque 800 000 fans dans le monde étaient derrière leur écran pour une recette finale de près de 20 millions de dollars.
Le 24 octobre, c’est la chanteuse américaine Billie Eilish qui s’est pliée à l’exercice avec un grand luxe de moyens techniques. Elle sera suivie fin novembre par la chanteuse britannique Dua Lipa ou encore par les vétérans de la pop anglaise Culture Club, avec des billets vendus entre 20 et 200 euros (avec, pour ce dernier tarif, une rencontre virtuelle avec le groupe emmené par Boy George).
Territoire à défricher
Là encore, tout cela peut apparaître comme temporaire, sans véritable avenir : pourquoi assister seul dans son coin à des événements à distance quand les salles seront rouvertes ? La question ne choquera sans doute pas un public jeune, déjà totalement acquis à la cause des services de streaming et habitué aux concerts virtuels intégrés dans des parties de jeux vidéo (27 millions de « spectateurs » pour les cinq concerts de Travis Scott sur Fortnite en avril, selon l’éditeur Epic Games).
Plus largement, ce que montre cette – encore – timide incursion des artistes sur ce territoire à défricher, c’est que l’excitation de la communion en direct est désormais compatible avec des outils qui jusqu’à présent s’affranchissaient du direct. La plupart des grands acteurs du numérique ne s’y trompent d’ailleurs pas : Apple et Spotify développent les technologies pour rassembler, sur un même espace, l’écoute et le partage de la musique et, de plus en plus, le visionnage de concerts virtuels.
Le retour du public dans les salles, raison d’être de tous les acteurs de la culture, effacera heureusement bien des questionnements et des difficultés...
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