Pensé pour réduire les inégalités d’accès des jeunes à la culture et diversifier leurs goûts, le pass Culture a-t-il réellement échoué à être ce sésame de la démocratisation ? Une autre hypothèse peut être avancée en déplaçant la focale sur ses atouts en matière de politiques culturelles numériques et en dépassant une approche strictement « solutionniste ».
Le pass Culture est ausculté et audité régulièrement depuis sa création . Il suscite des critiques récurrentes dans les milieux culturels et dans les médias sur les limites du dispositif quant à ses effets sur la démocratisation culturelle, jusqu’à engager la ministre de la Culture, Rachida Dati, à proposer une réforme ainsi qu’elle l’a annoncé dans une récente tribune publiée dans Le Monde .
Ces dernières critiques laisseraient à penser que les technologies, en tant que telles, pourraient vis-à-vis des jeunes résoudre d’« un simple clic » les problématiques de démocratisation culturelle que les politiques publiques peinent à traiter depuis trente ans . On peut qualifier cette approche de « solutionniste », pour reprendre les travaux d’Evgeny Morozov . Il s’y dévoile aussi une certaine forme d’illectronisme dans la mesure où les technologies numériques ne sont pas appréhendées comme un ensemble complexe d’intentions, de potentiels, de capacités, d’appropriations, de médiations … Le pass n’échappe pas à cette complexité. Cet illectronisme, au sens strict de sa définition , se perçoit dans la difficulté à analyser les usages de l’application et de la plateforme, mais aussi dans l’achoppement des politiques culturelles à intégrer les médias et les technologies numériques comme supports, outils et objets de création et de cultures .
Les innovations numériques dans le secteur culturel ont régulièrement été confrontées à ces controverses opposant deux conceptions (l’une culturelle et l’autre strictement technique) de ces services et dispositifs. Il semble aujourd’hui possible de s’éloigner de la rhétorique du « séisme culturel » présente dans les critiques à l’encontre du pass Culture et de sortir d’une situation potentielle d’illectronisme culturel, en éclairant ce système d’accès à la culture depuis les politiques numériques. Cela permettra ainsi d’enrichir la réflexion sur les nouvelles dynamiques de politiques culturelles « en régime numérique » qui en découle.
Un illectronisme lié à la dématérialisation des services publics
Depuis la fin des années 1990, les politiques numériques se sont déployées, à partir du programme d’action gouvernemental pour la société de l’information du gouvernement Jospin (1997) autour du développement d’infrastructures (réseaux informatiques, antennes de téléphonie mobile, etc.) mais aussi de services, lieux d’accès, actions de médiation et formations… Dans ce cadre, les services publics se sont dématérialisés à partir du milieu des années 2010 et ont engendré une double problématique. Premièrement, l’illectronisme – qui concerne près de 15 % de la population adulte – s’est traduit par une augmentation du non-recours à certains droits fondamentaux (sociaux, éducatifs, publics, etc.). Il ne s’agit donc plus de la fracture numérique des années 2000 qui pointait la difficulté matérielle (ne pas avoir d’équipement chez soi), infrastructurelle (ne pas avoir accès à une connexion internet) ou économique pour accéder aux services en ligne, mais une problématique d’usages et de compétences. Deuxièmement, la Défenseure des droits, Claire Hédon, a analysé dans son rapport en 2022, que la dématérialisation avait exigé la transformation du rôle de l’usager dans la production même du...
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