A l’occasion des Francofolies, à La Rochelle, un tour d’horizon des méthodes des producteurs pour dénicher des tout jeunes artistes et essayer de les imposer.
Cela ressemble à un tsunami : chaque jour, plus de 60 000 nouveaux titres sont mis en ligne sur les plates-formes musicales. Parfois jusqu’à 100 000… Alors comment les tout jeunes artistes peuvent-ils éclore ? Aux Francofolies, qui ont démarré mercredi 13 juillet à La Rochelle, quinze artistes émergents ont suivi Le Chantier, un cycle annuel ou bisannuel de perfectionnement technique et scénique, destiné, selon Emilie Yakich, codirectrice du festival, à agir comme « un facilitateur et un révélateur ». Sur les sept cents candidats, ils ont été sélectionnés pour travailler en résidence, accompagnés de professionnels du chant, de la scène et de chorégraphes. Débutants mais pas toujours très jeunes : « Ils ont entre 18 et 35 ans », souligne Emilile Yakich. Douze d’entre eux sont programmés en concert cette année. Trois seront jetés dans le grand bain, sur la scène Jean-Louis Foulquier, entre deux artistes confirmés, pendant dix minutes et devant 10 000 festivaliers.
La franco-algérienne Sabrina Bellaouel, étoile montante du label Infiné, ouvrira le bal le 15 juillet. Suivront, les 16 et 17 juillet, la chanteuse de folk Lonny – qui a déjà signé avec deux producteurs, l’un français (Horizons) l’autre canadien (L-A be) –, puis Romane, belle voix soul qui sortira son premier album en octobre. Tous rêvent de la carrière fulgurante d’anciens du Chantier, comme Suzane, Pomme, Christine and the Queens – qui a changé de nom pour Redcar –, Hoshi, Bigflo & Oli, Therapie Taxi, Juliette Armanet, Lomepal ou Aloïse Sauvage.
« Un travail de titan »
La découverte des talents, certains producteurs de musique s’en font une marque de fabrique. Ils les repèrent comme personne et aiment ce travail complexe de développement. « C’est bien plus intéressant que la gestion du succès », assure Vincent Frerebeau, le patron du label Tôt ou tard, laboratoire d’incubation de la chanson française. Un genre plus difficile que le rap, réclamé à cor et à cri par les salles de concerts ou les plates-formes musicales. Thomas Fersen, les Têtes Raides, Vianney, c’est lui qui les a identifiés. Et, plus récemment, Philippe Campion ou Noé Preszow.
« Quand on part de zéro, c’est compliqué. Il faut tout créer, partir d’une page blanche, c’est un travail de titan », reconnaît-il. Un premier album peut coûter entre 70 000 et 120 000 euros et les premiers concerts sont déficitaires. Et puis, si c’est bon, « les programmateurs de radio – un média qui reste essentiel – ou de plates-formes auront un coup de cœur, même dans un secteur abreuvé, dit-il. Si un projet est apporté par Tôt ou tard, il ne vient pas de nulle part non plus », ajoute-t-il, sans modestie.
Un premier album peut coûter entre 70 000 et 120 000 euros et les premiers concerts sont déficitaires
Dans les gros labels, la question reste identique : comment trouver des artistes à la fois singuliers et prometteurs ? Emmanuel Perrot, directeur général de RCA Label Group (Sony Music), n’écarte rien. Son équipe a repéré Ivann, un compositeur mauricien, sur Tik Tok, avant de confier sa chanson afro-tropicale La Surprise au rappeur maison SAF. Plus classiquement, un directeur artistique de RCA a entendu parler du rappeur Benjamin Epps. Bluffé par sa proposition scénique, il l’a signé, persuadé « qu’il peut toucher un public un peu différent du rap classique ». Pour le rappeur marseillais Soso Maness, RCA a racheté un label. Jolie prise pour Emmanuel Perrot : Petrouchka, le nouveau single de Soso Maness et PLK, a dépassé les 93 millions de streams.
La vie n’est pas toujours si ensoleillée. Pascal Bittard, à la tête d’Idol, distributeur de musique en numérique, travaille pour une multitude de petits labels indépendants. « Même les artistes signés par des labels ont du mal à vivre de leur musique », admet-il. Beaucoup rêvent de s’autoproduire. Mais « très peu d’entre eux ont le goût et le talent pour être entrepreneur », constate-t-il. L’arrivée massive d’artistes émergents s’explique à ses yeux par une démocratisation de la technologie. C’est désormais un jeu d’enfants de créer des sons dans son propre home studio ou de s’inscrire sur TuneCore. « Pour ceux qui veulent vraiment être professionnels, gare au miroir aux alouettes ! », prévient le patron d’Idol.
La relation directe, via Internet, avec la base des fans a aussi facilité la notoriété des chanteurs. Et puis, décrypte Pascal Bittard, avec la crise du disque, les labels ont signé moins d’artistes, préférant attendre qu’ils commencent à réussir tout seuls. A eux donc de produire leurs premiers singles ou de trouver leurs premières...
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