Depuis lundi, cinq figures du milieu sont en garde à vue. Elles sont soupçonnées d’avoir blanchi pour plusieurs dizaines de millions d’euros des antiquées volées au Moyen-Orient. Reste à prouver que cette affaire s’inscrit dans un trafic mondial.
Est-ce une coïncidence si la nouvelle est tombée à quelques jours d’une table ronde d’experts organisée en ligne dans le cadre de la célébration du 50e anniversaire de la lutte de l’Unesco contre le trafic illicite des biens culturels en 2020? Mardi soir, une affaire très embarrassante, venant de sources concordantes confirmées par RTL, mettait sous le choc le petit monde de l’archéologie, alors que celui-ci est déjà pris dans l’étau de la question des restitutions de biens volés, spoliés ou pillés s’inscrivant dans une ère de moralisation du marché de l’art.
Sans divulguer les noms, on apprenait l’interpellation, entre lundi et mardi, de plusieurs figures du marché, à la suite des investigations confiées aux agents de l’Office central de lutte contre le trafic de biens culturels (OCBC) et ceux de l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF), dans le cadre d’une information judiciaire ouverte le 7 février dernier. La fuite est-elle venue du parquet ou de l’OCBC? Chacun se renvoie la balle alors que l’avocat d’un des inculpés a fait noter au PV d’audition qu’il y a violation du dossier de l’instruction.
Dans le viseur, cinq personnes dont Antoine Godeau, président de la maison Pierre-Bergé & Associés; Christophe Kunicki, spécialiste en archéologie méditerranéenne officiant dans ses ventes et membre pourtant du Syndicat français des experts professionnels (SFEP); David Ghezelbash, marchand ayant plutôt le vent en poupe rue Jacob à Saint-Germain-des-Prés; et Annie Caubet, conservateur général honoraire du Musée du Louvre, ex-chargée du département des Antiquités orientales considérée comme une pointure dans le domaine. On attend de savoir si ces gardes à vue pouvant durer jusqu’à 96 heures déboucheront sur des mises en examen.
Tous sont soupçonnés d’avoir «blanchi», pour plusieurs dizaines de millions d’euros, des antiquités volées dans plusieurs pays en proie à l’instabilité politique depuis le début des années 2010, en Égypte, Libye, Yémen ou Syrie. Mais la complexité de l’affaire repose sur la difficulté à apporter des preuves qu’un réseau d’experts et de chercheurs tente de mettre à jour pour faire avancer la justice. Il est difficile d’y voir clair dans les changements d’attributions, les maquillages d’étiquettes, les fausses provenances et les certificats truqués datant d’avant 1970 pour obtenir l’exportation. La plupart des objets sortis ces dix dernières années proviennent du site de Cyrène, reconnaissable par des traces de terre rouge. Un objet sorti d’une fouille illégale ne laisse par définition aucune traçabilité, à l’inverse de celui volé dans un musée qui a été forcément inventorié.
"Un cas d'école"
«Il n’y a pas un mois où je ne reçois plusieurs alertes sur un objet volé ou pillé qui va passer en vente ou sur le net, ou encore sur une saisie pendant une perquisition ou un contrôle douanier», confirme Vincent Michel. Ce professeur en archéologie orientale à l’université de Poitiers, expert pour l’OCBC et l’organisation mondiale des douanes (OMV), aurait dû inaugurer cette semaine une exposition au Louvre, pour sensibiliser le public au sujet, mais le confinement a retardé le projet. On aurait pu y voir deux plaques sculptées en marbre du XIVe siècle venant de la région du moyen Euphrate (l’Irak limitrophe avec la Syrie du Nord) qui sont passées du Liban, pays de transit, pour arriver à Roissy sous une étiquette annonçant des panneaux de jardin, avant de repartir à Bangkok, porte ouverte du marché asiatique. «C’est un cas d’école pour que l’on ne puisse plus jamais dire que le trafic des “antiquités du sang” n’existe pas!», insiste ce dernier.
Compte tenu des enjeux, le débat fait rage. «Cette manière de faire condamner avant de prouver que des pièces ont été exportées en violation des règles pour arriver entre leurs mains est inadmissible», s’insurge MeYves-Bernard Debie, avocat d’une des parties, spécialisé en droit du commerce de l’art et des biens culturels.«Le grand trafic international organisé, intelligent, volontaire pour financer l’État islamique est du domaine du fantasme et je suis prêt à le démontrer.» Et de s’appuyer sur les propos de Paul Exbrayat, ancien enquêteur de l’OCBC, où il a exercé de 2009 à 2015, mettant en garde contre ces dérives: «On entend souvent dire qu’après le trafic de stupéfiants et d’armes, l’art serait le troisième mondial. Je n’ai jamais...
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