Tel un signe, la qualité des œuvres comme des lieux n’est pas un sujet dans les programmes des candidats à la présidentielle. Comme ne sont pas mentionnés les fleurons que sont le Louvre, la Philharmonie, Versailles ou la Bibliothèque nationale de France, qui portent l’excellence et accaparent une grosse part des subventions.
Priorité au public
Un autre facteur vient bousculer la notion d’excellence. Un ministre ou un maire regardent moins la scène que la salle. La priorité n’étant plus l’artiste mais le public, constatant que le premier a échoué à attirer les jeunes et les gens modestes, les élus s’emparent du sujet.
La passe d’armes ne fut qu’effet de manche. Sauf que les ministres de la culture qui ont suivi se sont engouffrés dans la brèche, forgeant par petites touches un changement de logiciel – passer de l’offre excellente à la demande diversifiée. Sans faire sourciller grand monde, cette fois. On serine tellement aux artistes qu’ils créent pour des privilégiés qu’ils sont devenus fatalistes. Nombre d’élus, essentiellement des maires, ont alors poussé leur avantage, ils se sont immiscés dans la création afin de programmer « plus large ».
Cette autre rupture avec l’ère Lang est ébauchée en 1999 par la ministre de la culture socialiste Catherine Trautmann. Elle est reprise en 2007 par le président de la République, Nicolas Sarkozy, appelant à une culture « pour le peuple ». Les créateurs ont hurlé, dénonçant une approche populiste propre à fragiliser l’excellence.
Le changement de logiciel est apparu au grand jour avec Emmanuel Macron. Déjà, le Covid a fait son œuvre. Quand on dirige un lieu culturel perfusé à coups de milliards par l’Etat ou une ville, on se tait, y compris quand des voix appellent à réduire la voilure, à faire plus local et moins cher. Ensuite, le marqueur du quinquennat fut le public. Une délégation a été créée, avec pour mission de le diversifier. Le Pass culture, innovation du mandat présidentiel qui s’achève, porte une révolution : pour la première fois, l’Etat ne place pas son argent dans l’excellence mais le donne à des jeunes dont on pouvait prévoir qu’ils achèteraient en majorité des mangas – et pas les meilleurs.
L’artiste doit-il faire œuvre ou faire société ?
Ce glissement des priorités n’est pas isolé. Il s’inscrit dans un changement des mentalités. Avant, on se demandait comment mener les jeunes au musée pour découvrir des tableaux. Aujourd’hui, on se dit que s’ils les voient sous forme numérique dans des centaines de « Micro-Folies » créées dans les zones blanches du territoire, c’est déjà pas mal.
Les candidats à la direction d’établissements phares confient être moins interrogés sur leur programme que sur leur politique pour les publics. L’Etat a dû choisir, début avril, entre six candidats pour la direction du Théâtre de la Criée, à Marseille. Il a retenu celui qu’on attendait le moins, Robin Renucci (soutenu par la ville), connu d’un large public et dont le projet d’un « théâtre populaire » entend développer des ateliers destinés aux professionnels et aux amateurs.
L’artiste doit-il faire œuvre ou faire société ? C’est la question du moment, incarnée par deux expositions à voir à Londres. A la Royal Academy of Arts, le...