Alors que le marché de la bande dessinée a crû de 50 % en 2021, les auteurs peinent à engager avec les éditeurs de négociations sur leurs rémunérations.
Le festival international de la bande dessinée d’Angoulême s’ouvre jeudi 17 mars dans un contexte exceptionnel. Porté par l’explosion du manga, le marché n’a jamais été aussi florissant. Selon la dernière enquête GfK Market Intelligence, le chiffre d’affaires 2021 du secteur frôle les 890 millions d’euros, en augmentation de 50 % par rapport à 2020 et le nombre d’exemplaires vendus a lui aussi explosé à 85,1 millions de titres écoulés (+ 60 %). Autant dire que la BD, avec 24 % du marché de l’édition en volume – soit deux fois plus qu’en 2012 − devient le second type d’ouvrage le plus acheté, juste après les œuvres de littérature générale (25 %).
Cette santé stupéfiante provient essentiellement de « la dynamique extraordinaire des mangas », souligne l’étude. En effet, leurs ventes ont doublé par rapport à 2020 ( +107 % en volume), mais tous les univers graphiques affichent une très forte croissance : 34 % pour la BD Jeunesse, 20 % pour la BD de genre et 18 % pour les comics. Seule la BD érotique est en recul.
Camille Oriot, consultante livre chez GfK, constate « un phénomène d’auto-alimentation » : la multiplication des séries et dessins animés de mangas diffusés à la télévision ou sur les plates-formes de streaming vidéo ou encore les films, de plus en plus attendus en salles, contribuent à fidéliser de nouveaux lecteurs.
Le bonheur des éditeurs
Selon cette experte, l’effet de la généralisation du Pass culture, en mai 2021, à toutes les régions française a aussi fortement dopé les achats de mangas. Le tropisme pour ce genre – vendu à 900 000 exemplaires par semaine – est tel qu’il en a même gommé « l’effet Astérix ». Jusqu’en 2019, chaque sortie orchestrée tous les deux ans des aventures du petit Gaulois gonflait de façon métronomique les ventes du secteur au point où les observateurs parlaient d’une année « avec » ou « sans ». Là, si Astérix et le Griffon s’est écoulé l’an dernier à plus de 1,5 million d’exemplaires, le marché reste en hausse de 49 %, même en lui ôtant cet album signé par Jean-Yves Ferri et dessiné par Didier Conrad.
Parce qu’elle croît bien plus fortement que le secteur de l’édition (lui-même ayant atteint un taux de croissance historique de 20 % en 2021), la BD fait le bonheur des éditeurs. Bon nombre se lancent, se diversifient ou se renforcent dans ce secteur, comme Editis par exemple.
Seule ombre dans ce tableau idyllique, les auteurs et les dessinateurs ne profitent pas – hormis quelques stars – de cette spectaculaire embellie du marché. Leur rémunération reste la plus faible de l’édition, avec des droits d’auteur équivalents à 8 % du prix de vente de l’album, à partager à deux. La dernière évaluation précise date des États généraux de la BD en 2016 et faisait état de 36 % d’auteurs vivant sous le seuil de pauvreté et 53 % gagnant moins que le salaire minimum.
Grande précarité des créateurs
En janvier 2020 le rapport de Bruno Racine sur « L’auteur et l’acte de création » avait à nouveau mis en lumière la grande précarité de ces créateurs. Roselyne Bachelot, la ministre de la culture a, depuis, entamé des négociations entre auteurs et éditeurs, mais le cœur du problème, la question de l’augmentation des rémunérations, a soigneusement été écartée du menu des discussions par les éditeurs. Au point où les représentants de l’association de défense des droits des auteurs et illustrateurs jeunesse La Charte ont quitté la table des négociations fin janvier, en s’estimant « dupés » et « promenés dans de vaines discussions ».
Sous la houlette de Pierre Sirinelli, professeur émérite de droit privé à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, un accord est attendu dans le meilleur des cas mercredi 16 mars. Il doit porter sur une plus grande transparence accordée aux créateurs sur l’état précis des ventes de chaque livre, les cessions de droits à l’étranger, les adaptations, la fin des contrats ou encore le paiement des droits d’auteur en deux fois et non plus une seule fois par an comme c’est le cas aujourd’hui. Vincent Montagne, le président du syndicat national de l’édition (SNE) considérait ces points « comme des avancées très significatives » pour les auteurs lors de ses vœux en janvier. Il s’était alors engagé « à se donner les moyens pour y arriver ».
Manifestement, tous les éditeurs au sein du SNE ne sont pas d’accord malgré...
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