Écouter un concert entouré de toiles de maîtres ? C’est désormais chose courante dans les plus grands musées parisiens, qui souhaitent abolir les frontières entre les arts.
Les œuvres d’art doivent-elles être contemplées dans le silence ? Ou au contraire être baignées de musique, la nourrissant d’un imaginaire plus riche, lui conférant une densité émotionnelle plus forte, et tendre ainsi vers cet « art total » dont rêvait Richard Wagner ? Dans cet antique débat, les musées parisiens ont désormais tranché : oui, la musique a sa place dans leurs galeries. À telle enseigne que la plupart possèdent aujourd’hui leurs propres saisons de concerts.
Si l’on excepte les cérémonies officielles de l’époque napoléonienne au musée des Monuments français (actuelle École des beaux-arts), où des orchestres jouaient derrière un rideau, on peut considérer que l’aventure « musico-muséale » débute dans la capitale en 1967, au musée d’Art moderne de la Ville de Paris, avec la création de l’ARC (Animation, recherche, confrontation). « C’était un laboratoire d’expérimentation avant-gardiste pluridisciplinaire, né sous l’impulsion du conservateur Pierre Gaudibert, raconte Dominique Poulot, historien des musées et professeur à Paris I. Il y invitait des musiciens comme John Cage. » C’était aussi l’époque où Iannis Xenakis présentait dans les thermes du musée du Moyen Âge son Polytope de Cluny (1972-1974), spectacle de sons et de lumières, première œuvre de musique contemporaine à s’inscrire dans un musée d’art ancien.
1986, nouveau tournant : quand Orsay ouvre ses portes, le public y découvre un auditorium – c’est la première fois qu’un musée se dote d’un tel équipement. « Le projet, à l’origine, était de faire d’Orsay un “musée culturel”, rendant compte non seulement de la création artistique, mais aussi des conditions socio-économiques entourant cette création, dans une perspective assez marxiste. L’idée était soutenue par Giscard, qui, curieusement, avait été fasciné par les musées littéraires soviétiques. Elle a survécu un temps après l’arrivée de la gauche, en 1981. Puis les tenants des beaux-arts ont repris le pouvoir, mais l’auditorium est resté. » Dans cette salle de 347 places, les jeudis soir et mardis midi, on se repaît de concerts convoquant Grieg, Debussy et autres compositeurs de la période de référence de l’établissement (1848-1914). Tandis que dans les galeries d’exposition, quatre fois par an, lors de « promenades musicales », les toiles des impressionnistes vibrent au son de duos piano-voix sélectionnés en lien avec la Fondation Royaumont, sur des programmes de lieds et de mélodies. « On offre au visiteur une vision augmentée du tableau », explique Sandra Bernhard, responsable de la programmation, qui a travaillé avant cela pour Mezzo et l’Orchestre de Paris. La nef, elle, accueille des formats plus étoffés, souvent sonorisés. Sans oublier ces événements festifs comme les « curieuses nocturnes », où le musée vire carrément au dancefloor et où l’on se déhanche un verre à la main sur des sons pop ou des mix de DJ. Dans un souci de jouer les chocs esthétiques, la stratégie de l’institution est à présent de « sortir d’une approche trop “dix-neuviémiste du XIXe” », insiste la programmatrice. Mais aussi de « faire sortir la musique de l’auditorium » pour mieux occuper les autres espaces et toucher ainsi d’autres publics que les seuls mélomanes.
Dans cette course aux décibels et à la double-croche, le Louvre n’est pas en reste. Si, d’Henri II à Louis XIV, le palais a souvent résonné au son des ballets de cour et des opéras italiens, puis, au XVIIIᵉ siècle, des grandes pages à la mode jouées aux Tuileries par le Concert spirituel (Les Quatre Saisons de Vivaldi, le Stabat Mater de Pergolèse…), il est entré dans un relatif silence lorsqu’en 1793 les révolutionnaires le convertissent en musée. Il faut attendre deux cents ans pour que la musique y revienne en grande pompe, avec l’inauguration en 1989 d’un auditorium dans le cadre du projet « Grand Louvre », lui-même partie intégrante des « grands travaux » de François Mitterrand. Une salle de 420 places située sous la pyramide de Pei, et qui a pris l’an dernier le nom de Michel Laclotte, directeur de 1987 à 1995, à la suite de son décès. En trente ans, plus de mille concerts y ont été donnés, en écho aux collections permanentes et aux expositions temporaires. Sébastien Daucé, chef de l’ensemble Correspondances et familier du monument, décrit les sensations qu’il éprouve quand il se produit dans la salle des Caryatides : « Il y a un esprit des lieux qui conditionne notre manière de jouer. Cela nous procure une expérience plus intense, une inspiration. Par son côté mouvant et éphémère, la musique apporte un complément naturel à des sculptures ou des peintures qui, par définition, ne bougent pas. »
Élargir à d’autres publics
Mais, au-delà de l’aspect esthétique, l’irruption des musiciens dans les musées répond aussi à une volonté plus politique de démocratisation culturelle. L’objectif est d’élargir les publics, de les rajeunir, de rendre ...
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