Depuis la dernière cérémonie de reprise de prix, la curée se poursuit dans les médias et sur les réseaux sociaux pour dénoncer un «fiasco». Jusqu’à la ministre de la Culture, véritable fantôme caché dans les coulisses et pas tendre avec le show de vendredi, alors que de plus brûlants dossiers figurent à son programme.
Peut-être la vaste confusion des genres sur laquelle vivote l’Académie des césars depuis des lustres, à la faveur de son show télévisuel annuel, n’a-t-elle que trop duré : faut-il vraiment qu’une fois l’an des gens dont le cinéma est la passion première et le métier s’ingénient à fabriquer pour diffusion en direct trois à quatre heures de télé médiocre, ce qui est aussi un genre d’art en soi et un métier (mais pas celui des mêmes) ? Vue d’un open space désolé à la rédaction de Libé vendredi, la cérémonie 2021 n’a pas paru échapper à cette increvable aporie, qui sécrète chaque année depuis 1976 ses éclats de vérités parfois cruelles, sur la façon dont le cinéma français se représente à lui-même et l’idée plus ou moins glorieuse que celui-ci se fait des attentes des téléspectateurs lorsqu’ils sont plus nombreux que dans les salles pour la plupart des films de l’année.
Kermesse corpo
Malgré les réformes engagées en coulisses au nom d’un louable souci de meilleure représentativité, au vote comme sur scène, ces césars rénovés s’apparentent toujours à l’étrange exercice d’improviser, le temps d’un soir, la transposition des logiques du petit écran aux choses du grand. Et l’on peut reconnaître à ceux qui s’y risquent une certaine audace, mais s’y ennuyer non moins ferme. Sauf quand l’ordinaire climatisé de ce cérémonial déraille tout à fait, pour, par exemple, en claquer la porte ou se foutre à poil, effeuillant ainsi les apparences endimanchées de la kermesse corpo pour y inscrire en lettres de sang la nudité d’une colère – grandeur et beauté du geste de Corinne Masiero.
A bien des égards, ce n’était donc guère qu’une cérémonie des césars de plus, avec sa part de symptômes et d’accidents plus ou moins heureux. Et pourtant, la curée s’étire depuis vendredi (très) tard dans la nuit. Sur les réseaux comme aux tribunes médiatiques, ou même sur les très distingués plateaux de C8, nombre de fervents cinéphiles, outragés, meurtris dans leur amour pur du cinéma français, ne trouvent pas assez de mots ulcérés, de comparatifs d’audience moqueurs et d’indignations en pilotage automatique pour dire qu’on n’a jamais rien vu de pire et plus dégradant de mémoire récente que ces césars. Entre deux accès de nausée surjouée, on se gausse d’un désormais «fiasco officiel», on moque la litanie de prises de position militantes perlées au fil de la soirée, on se félicite d’avoir couché les gosses plutôt que de laisser ces pauvres chérubins devant Canal. On pourfend la vulgarité des gags, on glose avec distinction sur le corps dénudé de Masiero, on invoque le matronage spirituel d’une idée aristo-bourgeoise de la grande actrice (Romyyyy, reviiiens !), et au micro d’à côté ou deux tweets plus bas, même les gens qui n’ont pas allumé leur télé vendredi, et ça s’entend, sont d’accord pour avoir trouvé ça nul à chier. Pardon, nul – ça suffit, la scatophilie.
Hectolitres de mépris
A plus bas bruit, dans les rangs d’un cinéma français qui a regardé faire de loin, et qui, sans nourrir nécessairement de sympathie pour l’ancienne direction des césars, s’en accommodait bien, on ricane doucement des ingrats lendemains de la révolution de palais, survenue à la suite de l’explosive édition 2020, sur l’air de «tout ça pour ça». Chez Cyril Hanouna (on a connu le groupe Bolloré plus sévèrement corporate), l’animateur délicat asticote la maîtresse de cérémonie Marina Foïs sur le chèque qu’elle aurait ou non perçu pour la soirée, tandis que sur une autre chaîne, un chroniqueur dont la carrière pluridécennale s’apparente à une longue campagne de réclame pour l’incontinence verbale invite les responsables de cette triste...
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