Le festival consacrée au 9e art est de retour, du 17 au 20 mars, après l’arrêt dû au Covid-19 et la polémique sur la faible place des femmes dans la bande dessinée.
Une brise printanière souffle sur le Festival international de la bande dessinée (FIBD) d’Angoulême. Annulée en janvier 2021 en raison de la pandémie, suspendue un an plus tard, puis finalement repoussée à la mi-mars, la 49e édition du principal salon européen consacré au 9e art s’ouvre, jeudi 17 mars, dans un contexte étonnamment radieux, en tout cas en apparence. La levée du masque et la bonne santé affichée par l’édition spécialisée augurent d’une manifestation faste et détendue, placée sous l’égide de Chris Ware, génie proustien d’un médium dont il a bousculé les potentialités narratives.
Présent en Charente pour l’exposition qui lui est consacrée, l’Américain a vu une femme lui succéder au palmarès du Grand Prix, mercredi soir, lors de l’inauguration du festival. Trois autrices – Pénélope Bagieu, Julie Doucet, Catherine Meurisse – composaient le trio de finalistes arrivées en tête d’un vote réalisé auprès des professionnels du secteur : du jamais-vu depuis que le festival a modifié son système de désignation du Grand Prix, en 2017 ; un an avant, une vive polémique avait souligné la sous-représentation des femmes dans la bande dessinée.
Nouveau prix et mini-crise
L’élection au deuxième tour de scrutin de Julie Doucet, 56 ans, a tout du symbole fort, aujourd’hui, pour Angoulême. La Canadienne avait en effet arrêté la bande dessinée en 1999 précisément parce qu’elle se sentait isolée dans un milieu trop masculin à son goût. Sa réintégration dans le giron, à travers ce prix qu’elle accepte de bon cœur, est une aubaine pour le FIBD en termes d’image. Julie Doucet n’en reste pas moins la troisième femme « seulement » à accéder à la liste des Grands Prix, après Florence Cestac en 2000 et la Japonaise Rumiko Takahashi en 2019.
Coutumier des controverses, Angoulême n’aura pas échappé, malgré tout, à une nouvelle minicrise, cette année. Son objet ? La création d’un nouveau prix, l’éco-fauve (les fauves sont les trophées donnés aux meilleurs albums de l’année écoulée), destiné à récompenser un ouvrage traitant d’écologie. Voir que le prix en question était associé au nom d’une entreprise – Raja, leader européen de l’emballage carton – a révulsé les membres du jury (deux auteurs, deux scientifiques, une militante écologiste), qui ont dénoncé une opération de « greenwashing ». Leur démission en bloc a entraîné le retrait de trois des sept titres en lice par leurs propres auteurs, parmi lesquels Etienne Davodeau et Christophe Blain.
L’affaire ne devrait pas manquer de rejaillir au moment de la cérémonie de remise de l’ensemble des prix (une dizaine en tout), samedi. Le FIBD a en effet décidé de maintenir l’attribution de cet éco-fauve en confiant l’appréciation des quatre ouvrages restant à un jury de lecteurs recrutés sur Internet. Franck Bondoux, le délégué général du festival, sait déjà qu’il devra monter sur scène pour faire valoir sa position : « Je dirai qu’il n’est pas envisageable pour le festival de s’inscrire dans un monde qui condamnerait les entreprises par anticipation, confie-t-il au Monde. Yannick Jadot l’a lui-même dit : il n’y aura pas de transition écologique sans les entreprises. »
L’une d’elles, par ailleurs, et pas des moindres sur le marché de la BD, a décidé de bouder partiellement Angoulême cette année : Glénat. N’acceptant pas qu’un seul de ses titres figure dans la liste des 80 albums présélectionnés, l’éditeur grenoblois a décidé de ne pas louer de stand dans le principal espace du festival, se contenant d’une présence sur Manga City, le pavillon dédié à la bande dessinée asiatique. « Ce n’est pas bien de faire ça, déplore Franck Bondoux. Comme dans tout écosystème, la solidarité doit exister. »
Dédicaces rémunérées
Ces épisodes n’éloigneront pas les festivaliers de l’essentiel : une programmation artistique riche de dizaines d’expositions, rencontres, projections, masterclass… Sans compter les traditionnelles séances de dédicaces, pour lesquelles les auteurs seront rémunérés : une première, qui trouve son origine se trouve dans des négociations de branche entamées depuis des années, sur fond de précarisation galopante des professionnels – une question loin d’être résolue malgré le boum des ventes d’albums.
Outre l’accrochage consacré à Chris Ware, les temps forts du festival seront une exposition sur le travail de scénariste de René Goscinny, une rétrospective autour de l’œuvre de Shigeru Mizuki et une plongée dans Mortelle Adèle, le phénomène éditorial aux 10 millions d’albums vendus bien connu des jeunes lecteurs. Mercredi soir, le FIBD n’a pas manqué à son devoir d’empathie en organisant un concert dessiné sur le thème de la guerre en Ukraine, autour du pianiste franco-ukrainien Dimitri Naïditch.
« Jamais le festival n’a autant investi dans la programmation, budgétairement parlant, au cours de ces dix dernières années », souligne encore Franck Bondoux en espérant...
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