Jouée depuis septembre 2016, la pièce Edmond, écrite et mise en scène par Alexis Michalik, a été représentée plus de 1 000 fois. Plus de 700 000 spectateurs ont déjà pu assister au spectacle qui continue à être joué cette saison au Théâtre du Palais Royal, à Paris. Un triomphe et une longévité peu courants au théâtre.
Lorsque les lumières s’éteignent, monsieur Honoré, le narrateur, s’avance. En quelques phrases, il plonge le spectateur dans l’an 1897. Très vite, il l’entraîne au Théâtre de la Renaissance, où Sarah Bernhardt joue La Princesse lointaine, pièce d’un poète inconnu : Edmond Rostand. Un four retentissant. En quelques minutes, nous voici transportés dans la vie du jeune Edmond, au moment où elle bascule, puisque bientôt il écrira l’un des chefs-d’œuvre du répertoire, Cyrano de Bergerac.
Le (jeune) auteur et metteur en scène Alexis Michalik, créateur du spectacle Edmond, semble réussir chaque pari qu’il se lance. Après le succès de ses deux premières créations, Le Porteur d’histoire – plus de 2 000 représentations ! – et Le Cercle des illusionnistes, sa troisième pièce, Edmond, qui a été adaptée cet hiver au cinéma, remplit la salle du Théâtre du Palais Royal depuis 2016, et bien d’autres lieux en régions. « La pièce aux 5 Molières » a déjà été jouée plus de 1 000 fois et vue par 700 000 spectateurs. Un triomphe, si rare au théâtre, qui continue : le spectacle est repris cette saison au Palais Royal. Comment expliquer un tel succès ?
Jouer avec le mythe de Cyrano
Sur le modèle du film Shakespeare in love, de John Madden, qui raconte la création de Roméo et Juliette, Edmond, d’Alexis Michalik, balade le spectateur dans les coulisses de fabrication de la pièce mythique d’Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac. Le metteur en scène trentenaire le sait, le public adore Cyrano : son triangle amoureux, ses vers sublimes, son héros sensible au panache resplendissant, son romantisme, son romanesque...
Alexis Michalik joue ainsi avec cette œuvre du répertoire, l’une des plus montées, offrant au spectateur les « moments de bravoure » : la tirade du nez, la scène du balcon, l’adieu final de Cyrano à Roxane. Pour raconter l’histoire du jeune Edmond, alors poète inconnu, en proie aux doutes et aux échecs successifs, Michalik reprend la construction de la pièce de Rostand, proposant une mise en abîme du trio amoureux (Edmond-Léo-Jeanne, Cyrano-Christian-Roxane).
La trame narrative d’Edmond est ciselée. L’histoire rebondit, d’une péripétie à l’autre, à un rythme fou, entraînant le spectateur dans la fiction. Alexis Michalik assume : « Le rythme est mon obsession. Je déteste l’ennui. Il faut que ça aille vite pour maintenir l’attention du public. » En répétition, le metteur en scène répète aux comédiens : « Ne traînez pas ! » En 1h50 de spectacle, 80 scènes se succèdent, certaines durent moins de 45 secondes.
Alexis Michalik est un homme de son temps. Consommateur de films et de séries, il reconnaît que les habitudes des spectateurs ont changé. « Aujourd’hui, les montages sont de plus en plus serrés. Cela me semble antinaturel d’avoir des pauses entre les scènes ou dans la parole. Le public actuel, spectateur de contenus audiovisuels, n’est plus habitué aux pauses. Dès que le rythme ralentit, on sort de l’histoire. » Ce rythme rapide, emprunté au cinéma, tient à l’écriture de Michalik, proche du scénario. D’ailleurs, le jeune auteur voulait avant tout faire d’Edmond un film. N’ayant pas trouvé les financements, il l’a adapté au théâtre, avant de pouvoir enfin le réaliser au cinéma suite au succès de la pièce.
Au plateau, 12 comédiens interprètent une quarantaine de rôles. Chose rare dans le théâtre privé, parmi eux aucun ne tient la vedette. Edmond est une pièce chorale, où chaque acteur est servi d’une belle partition. Si les comédiens ne sont pas en jeu, ils actionnent la machinerie, changent les décors. Cette vision collégiale du théâtre, Alexis Michalik l’apprend aux côtés d’Irina Brook, lorsqu’il joue sous sa direction. « Tous les comédiens sont au service de l’histoire, dit le metteur en scène. Avant tout, la star, c’est le spectacle. » Pas de tête d’affiche dans la distribution donc, mais de bons comédiens qui ne rechignent pas à incarner leurs personnages.
Michalik revendique un théâtre populaire, affichant ses artifices et ses changements à vue, et reposant sur un art de l’acteur, qui assume la composition de personnages, loin d’un jeu naturaliste. Face au succès du spectacle, à Paris et en tournée, Edmond en est à sa « troisième ou quatrième distribution », développe le metteur en scène. « Certains acteurs arrêtent pendant un an, et puis reviennent. Les nouveaux doivent rentrer dans les chaussures des comédiens précédents, qui ont créé le rôle. »
Un “feel good” théâtre
Edmond est une comédie où l’on va en famille. Le sujet est fédérateur : un jeune homme, poète raté, fait de son mieux pour écrire en trois semaines, à peine, une pièce qui deviendra un chef-d’œuvre. D’échecs en échecs, il rencontre finalement la gloire. Alexis Michalik reprend la structure et les codes de la success story, en les baignant dans l’ambiance de la Belle Epoque. L’auteur-metteur en scène décrit ainsi sa pièce : « C’est une ode aux rêveurs. Elle encourage à s’accrocher à ses rêves : ils se réaliseront peut-être un jour. C’est la revanche des ratés, de ceux qui rêvent. »
Dans la salle, jeunes et moins jeunes spectateurs se côtoient. Démocratiser le théâtre est l’un des objectifs d’Alexis Michalik : « Alors que le cinéma est déjà populaire, il est important de ramener dans les salles de théâtre un public plus jeune. J’ai envie que les gens qui voient mes spectacles sortent avec l’envie de retourner au théâtre. »
Un show tambour battant
Une histoire à rebondissements, 80 scènes qui s’enchaînent rapidement, de multiples changements de costumes, des gags… Edmond ne renonce pas à sa part de spectaculaire. Alexis Michalik le confirme : « C’est une comédie musicale sans chansons. » Souvent, à la sortie, les spectateurs sont ébouriffés par la rapidité des changements de décors, très nombreux dans le spectacle. L’auteur en est conscient. « L’inventivité des changements de décor fait partie du plaisir du public. C’est une chorégraphie agréable à regarder. » Une chose est sûre, le jeune artiste maîtrise, avec malice, l’art de divertir.
Texte de Mégane Arnaud