Entre menaces terroristes et sabotage, des mouvements réactionnaires s’en prennent une nouvelle fois au spectacle vivant, révélant par là même une porosité avec des partis dits « républicains ».
Des extrémistes catholiques violents multiplient les atteintes envers des spectacles. À Metz, le chanteur queer Bilal Hassani, ex-candidat 2019 à l’Eurovision, a dû annuler son concert du 5 avril au sein de l’église Saint-Pierre-aux-Nonnains. Live Nation, le producteur de sa tournée, s’est résolu à renoncer à cette date « à la vue des menaces formulées à l’encontre de Bilal Hassani et de son public » comme il l’annonce dans un communiqué. Une décision prise en concertation avec son partenaire local, le producteur Label LN, face aux alertes de la préfecture, elle-même sensibilisée par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et le renseignement territorial. Environ trois semaines avant la date prévue du concert, des associations catholiques appelaient à des « prières réparatrices » devant l’église sur le Web, qui se sont rapidement transformées en appels à la haine.
Comme l’a révélé le site StreetPress, des militants d’extrême droite envisageaient sur une chaîne Telegram des actions violentes et différentes options d’attentats à l’occasion de ce concert. « Les menaces de mort et d’attentats, ce sont les gens de Génération Z [jeunesses zemmouriennes : NDLR ], constate Terrence Khatchadourian, secrétaire général et fondateur de l’association de terrain Stop Homophobie, qui rappelle le contexte déjà lourd subi par différents artistes, en particulier via les réseaux sociaux type Twitter. « Twitter, c’est le pire en la matière, poursuit-il.
La chanteuse Hoshi a été harcelée, menacée, s’est retrouvée en dépression, elle ne peut plus travailler. Eddy de Pretto, qui a été cyber-harcelé, a reçu plus de 3 000 messages de haine mais seules onze personnes ont été condamnées, ce qui pose d’ailleurs des questions sur l’efficacité de la justice face à la sphère des réseaux sociaux. Bilal Hassani est ciblé du fait de son extravagance et, malheureusement, aussi parce qu’il est d’origine maghrébine. »
Perméabilité
Bilal Hassani a porté plainte. Suite à l’annulation du concert, Stop Homophobie et l’association Mousse, qui milite pour les droits des personnes LGBT, l’ont fait aussi contre Civitas pour « discrimination et incitation à la haine » mais aussi pour « entrave à une activité économique en raison de l’identité de genre », une première. Tout comme l’association de Metz Couleurs gaies, qui a aussi porté plainte contre X.
L’épisode illustre la perméabilité des mouvements d’extrême droite avec les élus de la République, la conseillère régionale de la Région Grand-Est et élue du Rassemblement national, Françoise Grolet, ayant relayé la polémique en amont du concert, déclarant aussi sur son compte Facebook : « L’un des plus vieux édifices religieux de France, maintenant destiné aux concerts acoustiques, doit-il subir cet outrage en pleine semaine sainte avant Pâques ? Revenez au bon sens ! ».
L’église Saint-Pierre-aux-Nonnains est désacralisée depuis près de 500 ans et des concerts (Ensemble Organum, Imany, Chapelier Fou) s’y déroulent depuis une trentaine d’années. Dotée d’une jauge de 180 personnes, qui peut évoluer en fonction de la taille de la scène et du nombre de places assises, elle est gérée, comme la chapelle des Templiers ou les salles dédiées aux musiques actuelles BAM et Trinitaires par l’Arsenal, lui-même piloté par l’EPCC Metz en Scènes. Avec les 7 356 000 euros du Syndicat mixte de l’Orchestre national de Metz et ses 72 musiciens, le budget de la Cité musicale - Metz est d’un peu plus de 15 millions d’euros. « Ce soir là, le concert était complet, c’était une petite jauge de 150 personnes pour établir, dans un cadre original, en début de tournée, un rapport très intense avec son public, précise Julia Dehais, directrice de la communication et des relations avec le public à la Cité musicale de Metz, qui emploie 180 personnes. Elle signale qu’« une reprogrammation assez rapide devrait survenir à Metz et qu’une enquête a été ouverte par le parquet ». Les motifs en sont : « Menace de délit contre les personnes en raison de leur orientation sexuelle, de provocation à la haine ou à la violence contre une personne en raison de l’orientation sexuelle et de provocation publique et directe non suivie d’effet à commettre un crime ou un délit. »
Civitas à la manoeuvre
Civitas n’échappera pas aux investigations sur ce sujet. Désormais parti politique (ce qui lui permet de recevoir jusqu’à 7 500 euros par donateur, avec exonération fiscale de 66 %), il s’est évidemment félicité de l’annulation du concert à Metz. Aurora Lorraine, sorte de « réincarnation » locale de Génération identitaire, pourtant dissous en Conseil des ministres en mars 2021, affichait aussi sa satisfaction suite à l’annulation. Civitas reste la clef de voûte de cette offensive réactionnaire. Lorsque le collectif d’associations La Manif pour tous partait en croisade contre l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe en 2012, Civitas faisait partie des plus agressifs, organisant des prières de rue, se livrant à des « exorcismes » destinés à des parlementaires, s’en prenant physiquement à des militantes féministes ou Femen.
Sabotage inédit à Nantes
Civitas est considéré comme le bras politique de la Fraternité Saint-Pie X, communauté de prêtres intégristes en rupture de ban avec le Vatican bien implantée à Nantes. « La Manif pour tous nie être liée à Civitas mais en réalité, il s’agit de proches, remarque Terrence Khatchadourian. À Nantes on n’hésite pas à s’en prendre à des spectacles pour enfants. Civitas avait lancé une opération de tractage et d’affichage dans les écoles publiques contre le spectacle musical Fille ou Garçon ? programmé par La Bouche d’Air et le festival Petits et Grands. Et c’est finalement l’ex-numéro 2 de la liste RN aux municipales 2020 à Nantes, qui a été placé en garde à vue, porteur d’une matraque, après un sabotage de la représentation de ce spectacle abordant la question du genre.
« Cet acte malveillant, inédit et inacceptable est intervenu à 19 h 30 lors de la représentation et a ciblé un boitier électrique extérieur. Il a fortement perturbé les éclairages du spectacle. Le son n’a pas été affecté », décrivent, dans un communiqué commun, Petits et Grands et la Bouche d’Air, association programmatrice de la salle Paul-Fort, où a eu lieu le 6 avril le spectacle de Marion Rouxin et Éric Doria. L’auteur du forfait, Wilfried Van Liempd, désormais chez Zemmour et Reconquête, s’est fait remarquer par ses actions violentes : en 2013, il avait prêté main forte à Sébastien de Boüard de Laforest, propriétaire du château de la Poterie au bord de l’Erdre qui s’en était pris à des promeneurs ; en 2021, il avait, déjà, joué de la matraque télescopique à Nantes contre de jeunes antifascistes. La Ville n’entend pas...
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