Modernisé, le Grand Rex vient de retrouver son éclat Art déco et quelques projets parient sur un retour en salle des spectateurs. Architecte spécialisé, Gilbert Long revient sur l'évolution des cinémas depuis près de quarante ans et les transformations comme les LED qui pourraient les révolutionner.
Une embellie redonne le sourire aux exploitants. Novembre vient de marquer un record de fréquentation cinématographique de 14,78 millions d’entrées, soit le mois le plus élevé depuis le début de l’année, malgré le début de la Coupe du monde de football. Et la sortie notamment du nouveau volet d'Avatar devrait permettre de passer le cap des 150 millions de spectateurs en 2022. Mais cette reprise ne doit pas faire oublier un mois de septembre catastrophique et des chiffres qui restent encore loin de ceux précédant la pandémie.
Gilbert Long, architecte spécialisé depuis la fin des années 80 dans la rénovation, la construction et l'extension de complexes cinématographiques, évoque une très timide reprise des projets et se félicite du soutien reçu par le septième art ainsi que du système économique unique au monde qui lui permet de résister. Entretien à l'heure où l'une des plus célèbres salles au monde, le Grand Rex, vient d'opérer un retour vers le futur pour ses 90 ans, juste avant une nouvelle salle immersive IMAX, à Bordeaux, et alors que 2024 devrait être marqué par la réouverture de La Pagode, référence parisienne historique pour les cinéphiles, et l'inauguration d'un méga projet de Pathé près de l'Opéra.
Comment avez-vous vu évoluer les salles de cinéma en France d'un point de vue architectural ?
J'ai commencé à travailler sur ce que l'on appelait à l'époque les complexes. De grands cinémas de centre-ville, avec de très grandes salles et des balcons, avaient été transformés, en petites salles équipées de petits écrans sans réelle qualité de visionnage.
Les multiplexes commençaient aussi à se développer, au début plutôt dans les banlieues, dans les centres commerciaux. Avec la possibilité de faire de très, très grands écrans, des salles assez fortement gradinées. Cela a changé d'une certaine manière l'approche dans la présentation des œuvres cinématographiques, avec la possibilité d'avoir ces très grands écrans, ces salles dans lesquelles on a vraiment l'impression d'être dans l'image et avec un volume qui donnait au son aussi une très grande importance. Ces salles de multiplexes sont alors devenues la référence.
Après, on a assisté petit à petit à un retour aux implantations de cinémas en centre-ville où les complexes avec ces petites salles couloir, un petit peu mal foutues, ont été transformés et ont intégré ces multiplexes, avec moins de salles, forcément.
Et maintenant, quasiment tous les projets, de rénovation ou de construction, se font un peu dans cet esprit de retrouver cette présentation des films avec vraiment de très grands écrans et des salles fortement gradinées.
Existait-il la moindre préoccupation architecturale pour ces multiplexes ?
Non, pas du tout. La démarche était proche de celle des centres commerciaux. Il s'agissait d'avoir des implantations à l'extérieur ou dans les intercités ou dans des zones de ce type, un peu libres, en général en accompagnement de grands centres commerciaux pour bénéficier de parkings ou d'espaces communs, avec l'idée que les gens se déplaçaient en voiture et se donnaient des rendez-vous. C'était un lieu important ou un lieu de consommation, de fête, où les gens avaient plaisir à aller à cette époque là. C'est beaucoup moins le cas maintenant car se déplacer en voiture et tout ce système de parking et de ronds-points ne fait plus rêver personne.
À l'époque, ce souhait de s'implanter sur ces grands espaces qui permettaient beaucoup de possibilités dominait. Et au départ, l'architecture correspondait plus ou moins à celle de boîtes, un peu comme celle des centres commerciaux. Il y avait toujours une recherche d'image, certes, sur l'enseigne, l'entrée, le hall. Mais c'était très très limité. Cela a bien changé depuis, car on fait désormais œuvre architecturale un peu partout.
Ces multiplexes ont tout de même modifié notre rapport au cinéma.
Au départ, ils étaient plutôt le fait des grands groupes. C'était une idée qui a dû venir des États-Unis. Et effectivement, cela a complètement changé l'image : au lieu de regarder un écran qui paraissait petit dans les salles assez étroites de tous ces complexes de centre-ville, d'un seul coup, cela prenait une dimension bien plus grande. En gros, au lieu d'avoir une salle ressemblant à un couloir, on avait une salle presque carrée, où la largeur de l'écran était presque équivalente à la profondeur de la salle. Cela a fondamentalement changé les choses et donné au public envie de ce genre de salles. Et très très vite cela s'est diffusé dans les projets de centre-ville.
Comment s'est opéré le retour en ville et ce souci de faire œuvre architecturale ?
Les exploitants de cinéma, les petits indépendants comme les grands complexes, sont organisés au sein d'une fédération. Ils se parlent beaucoup, se rencontrent beaucoup, s'observent les uns les autres. Et ces implantations de multiplexes en centre-ville se sont accompagnées pour eux d'une obligation de choix architectural. Parce que vous avez un architecte des bâtiments de France (ABF), vous êtes dans un tissu urbain, dans un quartier. Vous ne pouvez pas à cet endroit construire une boîte, comme on le ferait sur un parking, c'est évident.
Et je pense que le balancier est revenu de l'autre côté. Les multiplexes en dehors des villes ont vu ces nouvelles salles de centre-ville ou de quartier prendre leur force dans la qualité de la présentation des films, avec en plus une proximité et une image architecturale très fortes. D'où le souhait, le soin, de ne pas apparaître comme juste une boîte un peu pauvre posée sur un parking, mais d'en donner eux-aussi un peu plus, d'améliorer les espaces, à l'accueil notamment, et d'avoir une image architecturale et un peu plus valorisante.
Mais les cinémas sont-ils protégés pour leur valeur architecturale ?
Il existe une préoccupation mais le massacre se poursuit. Depuis la guerre, le système de protection des paysages urbains et des bâtiments n'a pas été développé. Et pour le moment, les cinémas ne sont pas vraiment protégés. Très peu de salles le sont, et cela ne rentre pas tellement dans les choix du ministère de la Culture.
En revanche, quand j'interviens dans des communes ou auprès d'exploitants, il existe souvent chez les habitants des communes en question une mémoire d'un lieu qui a existé, qu'ils ont connu enfants, dont leurs parents leur ont parlé ou une mémoire visuelle. Et souvent, on m'a demandé de restituer cette image là ou d'en reprendre une partie car cela s'inscrit dans un inconscient collectif et cela a beaucoup de succès.
J'ai fait beaucoup de cinémas aussi dans des lieux qui changeaient de fonction, dans un manège à chevaux, dans une ancienne usine. Et là aussi, on travaille sur les clins d'œil avec l'architecture du bâtiment existant, et là aussi, les gens sont aussi très, très attachés à retrouver ce qu'ils ont connu. Localement, on observe un très fort attachement et une très forte demande, au niveau de l'État, je ne pense pas.
L'espace d'accueil a beaucoup été repensé ces dernières années, y compris dans des rénovations de cinémas anciens.
Effectivement, un cinéma doit être rentable. Mais on doit aussi créer de la convivialité et essayer de faire de ces cinémas des lieux de rencontres qui fassent envie aux gens, des lieux de rendez-vous, de vie. Nous essayons donc d'accompagner les cinémas par des halls qui puissent être un peu multifonctions. Ces halls doivent permettre aux gens de consommer, des boissons ou parfois une petite restauration, quand certains exploitants le souhaitent. Avec également des espaces d'information.
Et dans quasiment tous mes cinémas depuis un certain temps, nous réalisons aussi des espaces d'activités qui accompagnent le cinéma et sont indépendants du hall. Ils peuvent être privatisés, accueillir une équipe de film, une exposition. Cela peut être loué pour un organisme extérieur, une association, une fédération, et c'est intéressant pour les cinémas parce que cela permet une occupation des lieux à des moments où il n'y a pas forcément de projection. Et cela permet surtout de se connecter avec les forces vives du quartier ou de la ville qui vit avec le cinéma, de manière à intéresser les gens à ce qui se passe dans ce lieu. Cela complète la vie du cinéma.
Cela renforce cette proximité, ce lien très fort qui compte dans l'expérience d'une salle. Les professionnels insistent beaucoup sur l'importance de cette expérience. En particulier depuis la crise liée au Covid et le développement des plateformes.
Exactement. Il s'agit d'essayer de trouver un cinéma boîte à outils. La première chose reste bien sûr la qualité de la présentation des œuvres cinématographiques. Ensuite, il faut que l'exploitant puisse trouver dans le lieu qu'on lui propose ce fameux accueil et cette salle d'activités complémentaires pour des événements qui se passent dans le cinéma pour des gens qui ne fréquentent pas forcément le cinéma. Cela lui donne une image et un rayonnement au sein de la communauté dans laquelle il est implanté.
Et existe-t-il une mode encore aujourd'hui dans les projets de construction ou de rénovation ?
Les exploitants de cinéma se posent beaucoup de questions à cause de tout ce qu'ils subissent. Ils n'ont pas de demande de style particulier mais la petite mode serait d'aller vers des sièges de très très grand confort. Les salles ont un taux de remplissage qui n'était déjà pas très fort avant la pandémie, elles n'arrivent à se remplir complètement que les week ends ou quelques soirs vraiment très très particuliers. Les exploitants ont observé l'appétence du public pour des sièges très très grand confort, avec de gros accoudoirs, qui s'inclinent, avec des petits plateaux pour poser des objets et sont éventuellement électriques. On garde toujours de très grands écrans avec l'impression d'être vraiment dans l'image, mais avec beaucoup moins de sièges et des sièges beaucoup plus grands.
Pour les écrans justement, les LED se font attendre.
Aujourd'hui, nous sommes encore quasiment sur le même système qu'à l'origine du cinéma, avec un faisceau lumineux qui est désormais un faisceau laser très puissant. Ce faisceau de projection a un petit peu atteint ses limites. Les blancs sont un petit peu gris parce que le faisceau a fait plusieurs reflets, les noirs sont pas vraiment des noirs puisqu'un tas de lumières parasites viennent éclairer les points où normalement il y a zéro lumière. Et on n'a pas non plus un contraste, une luminosité et un nombre de couleurs très important.
Les meilleurs des écrans LED ont eux une image nettement plus petite que celle au cinéma, mais elle est de bien meilleure qualité, objective. Vous avez des noirs très profonds, des blancs très brillants, des contrastes très très forts, et non plus des millions, mais presque des milliards de couleurs. C'est d'une beauté à tomber. Aujourd'hui, la plus belle image, hormis la taille, n'est donc plus une image qui se trouve au cinéma. On a perdu cet avantage, c'est contrariant. Depuis toujours jusqu'à récemment, la plus belle image se trouvait dans les cinémas. Celle des télés et des ordinateurs était plutôt pitoyable. On a été dépassé en qualité, en qualité objective. Il nous reste la taille.
La technologie des LED est en train de venir au cinéma. Pour l'instant, on en est à peu près à des écrans LED de cinéma de 6-8 mètres pour 50-60 personnes et des coûts de plusieurs centaines de milliers d'euros. C'est trop cher pour un cinéma dans une taille moyenne. Mais dans quelques temps, on pourra mettre en place de petits pixels LED qui généreront leur propre lumière avec la même qualité que les écrans LED actuels, en contraste, en nombre de couleurs, en brillance de l'image. Mais on pourra le faire avec des images de 18 ou 20 mètres. On obtiendra une splendeur de l'image mais avec la taille en plus, avec une image physiquement plus grande que nous et vraiment cette impression d'être dans l'image, ce qui fera toute la différence.
La révolution ne va pas tarder, avec un autre effet lié à la disparition du faisceau de projection puisque l'écran sera naturellement lumineux. Et aujourd'hui, nous sommes limités dans...
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