
Supprimer les subventions à la culture comme l’a fait la présidente de la Région Pays de la Loire, Christelle Morençais, fin 2024, a un coût. Trois mois plus tard, on peut très concrètement tirer les conséquences désastreuses de cette décision pour les artistes, les compagnies, les associations culturelles et, in fine, le public. C’est ce que nous racontent ici sans détour, et en détail, trois acteurs du monde culturel ligérien : Jacques Peigné, directeur du Quai-CDN d’Angers ; le metteur en scène Laurent Brethome, directeur de la compagnie Le Menteur Volontaire à La Roche-sur-Yon ; et Arnaud Auray, administrateur de Stradivaria, l’orchestre baroque de Nantes.
Ce qu’ils disent permet de mieux comprendre la colère du monde de la culture qui s’exprime ce jeudi 20 mars dans la rue, à l’appel de toutes les organisations professionnelles de salariés et d’employeurs du spectacle, qui entendent ainsi dénoncer les coupes budgétaires qui, un peu partout, fragilisent gravement et durablement ce secteur et menacent nombre de compagnies d’une disparition pure et simple.
“Il y aura des licenciements dans de nombreuses compagnies”
Jacques Peigné, directeur délégué du Quai-Centre dramatique national (CDN) d’Angers, immense espace de création, de spectacles et de rencontres pour tous les publics. Ici s’inventent et se partagent tous les arts vivants, plastiques, numériques, scéniques, lyriques, le cirque, le théâtre, la danse, les musiques…
« La suppression de la subvention en deux ans (50 000 euros en 2025 et 150 000 en 2026) nous contraint à réduire notre programmation dès cette année, même si le choc à la rentrée prochaine sera amorti grâce à une aide exceptionnelle de 20 000 euros votée cette semaine par le conseil municipal d’Angers. Le nombre de spectacles invités passera cependant de 69 à 53 dès la saison prochaine (2025-2026), et nous allons privilégier ceux qui attireront a priori le plus de public pour remplir la grande salle. Le nombre de billets vendus devrait néanmoins baisser de 15 000 (50 000 au lieu de 65 000 cette saison). Ce sera beaucoup de travail en moins pour de nombreuses compagnies, et c’est pour elles que l’impact de la suppression des subventions est le plus fort. En peu de temps, c’est tout leur écosystème qui s’effondre. Il y a deux ans, elles avaient perdu l’aide au projet. En 2025, on leur supprime leurs aides au fonctionnement, et des lieux de diffusion comme le nôtre sont acculés à diminuer leur offre artistique. Il y aura clairement des licenciements dans de nombreuses compagnies alors qu’elles mènent localement un travail d’action culturelle indispensable dans les collèges, les lycées, les hôpitaux, les prisons. C’est autant de lien social en moins.
Le Quai lui-même dispose d’un volet éducation artistique et culturel important à destination des écoles, des collèges et des lycées. Nous allons réduire les interventions des artistes dans les lycées [une compétence de la Région, ndlr], sans y renoncer complètement car nous souhaitons continuer à inciter les jeunes à venir au théâtre et nous ne souhaitons pas qu’ils soient les victimes de cette politique.
Côté dépenses de fonctionnement, tout est discuté et discutable. Nous allons diminuer les coûts de communication et de publicité et nous réfléchissons avec nos tutelles à baisser les charges de sécurité, qui sont extrêmement élevées (380 000 euros) du fait de la taille importante du bâtiment et du plan Vigipirate que nous impose la préfecture. Nous étudions également la possibilité de réduire un peu nos horaires d’ouverture.
Côté recettes, nous réfléchissons à une augmentation du prix des billets pour les spectacles les plus attractifs, comme les concerts avec des artistes renommés. Pas question pour autant de renoncer à une offre abordable pour un public qui dispose de peu de moyens. Ce sera un équilibre complexe à trouver. Nous étudions également la possibilité de nous tourner vers du mécénat individuel, sous la forme d’un abonnement de soutien ou de la création d’une association des amis du Quai. Depuis l’annonce de la suppression de la subvention, nous tenons régulièrement notre public informé de l’évolution de la situation. Certains spectateurs pourraient être contents de pouvoir montrer leur solidarité avec notre maison. En même temps, demander au public de compenser des subventions publiques, n’est-ce pas aussi un peu accepter une brèche dans le système de financement du service public de la culture ? »
“C’est notre capacité à aller vers tous les publics, surtout sur un territoire rural, qui est remise en cause par cette décision folle”
Laurent Brethome, metteur en scène, comédien et directeur de la Compagnie Le Menteur Volontaire. Basé à La Roche-sur-Yon, il revendique une exigence artistique alliée à une volonté de s’adresser à tous les publics peu ou pas habitués à fréquenter les salles de théâtre. Sa programmation mêle des œuvres du répertoire classique et contemporain.
« Le Menteur Volontaire était conventionné avec quatre tutelles (l’État, la Région Pays de la Loire, le département de la Vendée et la ville de La Roche-sur-Yon), pour un montant total de subvention de 205 000 euros, qui représentait environ le quart de notre budget. La décision de Christelle Morançais prive la compagnie de 45 000 euros et son festival Nuits Menteuses de 10 000 euros. Ce désengagement total de la région, suivi de légères baisses d’autres collectivités, a eu pour conséquence immédiate le non-renouvellement d’un poste à la compagnie et la suppression de l’équivalent de plus de 500 jours de travail rémunérés pour toutes les équipes avec lesquelles nous collaborons.
Au lendemain de l’annonce de cette coupe claire, j’ai dû appeler plus de...
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