À Nantes, près de 15 000 professionnels du secteur ont partagé pendant deux jours leurs inquiétudes et leurs propositions pour sortir de la crise.
« Le spectacle vivant est face à une crise d’une ampleur sans précédent. La période du Covid n’était qu’un galop d’essai. La crise est désormais multifactorielle. » D’un ton calme mais ferme, Nicolas Marc, créateur et directeur des Biennales internationales du spectacle (BIS), observateur depuis plus de vingt ans de ce secteur culturel, ne cache pas sa forte inquiétude.
Mercredi 11 et jeudi 12 janvier, la dixième édition des BIS, rendez-vous important de la filière du spectacle vivant (180 exposants, plus d’une centaine de débats et forums), a vu affluer quelque 14 800 professionnels à la Cité des congrès, à Nantes. Un record. Mais ces retrouvailles, après trois ans d’interruption pour raison sanitaire, ont eu un goût amer. « Tsunami », « lame de fond » « étouffement », des mots rudes ont été employés au fil des discussions et prises de parole.
2023 serait-elle l’année de tous les dangers ? L’USEP-SV, la fédération des organisations professionnelles du secteur subventionné du spectacle vivant, n’a pas hésité à intituler son débat : « La fin du service public du spectacle vivant en 2023 ? » Un titre « un peu provocateur, mais à la hauteur des préoccupations », a justifié Frédéric Maurin, président du Syndicat national des scènes publiques.
Malaise diffus
Après une crise sanitaire qui a mis à l’arrêt les lieux de spectacle pendant de longs mois, de nouveaux et nombreux nuages s’amoncellent sur un secteur qui n’a jamais digéré avoir été classé comme « non essentiel » durant l’épidémie de Covid-19. A la nécessité de reconstruire le lien avec le public viennent s’ajouter la hausse du prix de l’énergie, la très probable baisse des subventions d’un certain nombre de collectivités territoriales, les tensions sur le marché de l’emploi et sur le niveau des rémunérations. Mais aussi l’embouteillage de productions et la faiblesse de la diffusion, le risque d’un phénomène accru de concentration dans le secteur privé de la musique et du spectacle, la pénurie de matériel, les enjeux pressants de transition écologique et la crainte que certains festivals fassent les frais de l’organisation des Jeux olympiques en 2024, malgré les assurances du contraire apportées par Rima Abdul Malak, ministre de la culture.
« Tsunami », « lame de fond », « étouffement », des mots rudes ont été employés
au fil des discussions et prises de parole
« Le théâtre public de Montreuil voit sa facture de gaz multipliée par six et celle d’électricité par trois, et risque de devoir fermer un mois plus tôt » (Alexie Lorca, maire adjointe de cette ville de Seine-Saint-Denis). « Dans le réseau opéra-orchestres, neuf adhérents sur dix envisagent de réduire leur activité » (Aline Sam-Giao, présidente des Forces musicales et directrice générale de l’Auditorium-Orchestre national de Lyon). « Nous sommes confrontés à une pénurie de main-d’œuvre, près de 20 % des techniciens se sont reconvertis après le Covid » (Eric Barthélémy, administrateur du Syndicat national des prestataires de l’audiovisuel scénique et événementiel). « Depuis cette rentrée, on se retrouve face à un mur quant à l’avenir de notre programmation » (Caroline Sonrier, directrice de l’Opéra de Lille). Etc, etc. Le malaise est diffus.
Signe d’une période sous tension, le conseil régional des Pays de Loire, dont la vice-présidente chargée de la culture, Isabelle Leroy, ont renoncé à occuper leur stand et à participer aux BIS, craignant d’être pris à partie par des artistes qui contestent le projet de baisse des subventions pour le secteur culturel.
Confrontées à des contraintes budgétaires, liées entre autres à la crise énergique, plusieurs collectivités locales sont tentées d’utiliser la culture comme variable d’ajustement. « Beaucoup de budgets vont être votés en mars, ça va arriver en cascade, et on mesurera l’ampleur de la crise, redoute Nicolas Marc. Oui, protégeons en France la baguette de pain, mais protégeons aussi la filière culturelle dont le poids, l’importance, ne sont plus à démontrer. »
Manque de diffusion
« La culture soigne, relie, il faudrait dans l’avenir des ordonnances de culture comme il y a désormais du sport sur ordonnance », selon Christopher Miles, directeur général de la création artistique au ministère de la culture. Surtout, il faut résoudre un mal ancien et profond qui touche le secteur du spectacle vivant : un rythme effréné de créations, mais un manque de diffusion. « Le défi majeur est de mieux produire, pour mieux diffuser, insiste M. Miles. Une régulation maîtrisée et une décroissance sont nécessaires. »
Nicolas Marc, créateur des Biennales internationales du spectacle : « Beaucoup de budgets vont
être votés en mars, ça va arriver en cascade et on mesurera l’ampleur de la crise »
A écouter les directeurs de lieu culturel subventionné, il semble que cet enjeu du ralentissement de l’activité de production, afin d’augmenter la durée de vie des projets (nombre de représentations et tournées), soit désormais partagé par une majorité de professionnels. « On est depuis longtemps en crise de surproduction », reconnaît Salvador Garcia, directeur de Bonlieu, scène nationale d’Annecy. « Il est temps de penser de manière transversale par rapport aux labels », ajoute-t-il.
Le ministère, précise M. Miles, travaille sur « une révision des cahiers des missions et des charges des labels et réseaux nationaux, un renforcement de la logique de coopération » et considère qu’« il ne faut pas avoir de complexe sur le rapprochement public-privé ».
Malgré une crise « jamais vue », il a donc aussi été question d’avenir et de refondation. Comme ses prédécesseurs, Rima Abdul Malak s’est...
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