La crise sanitaire complique la réforme de l’Opéra de Paris que doit mener son directeur Alexander Neef.
Directeur de l’Opéra de Paris depuis septembre 2020, l’Allemand Alexander Neef présente sa deuxième saison sur fond d’incertitudes en matière de fréquentation et de perspectives économiques fragiles.
Comment l’Opéra de Paris sort-il de la pandémie ?
Nous avons rouvert progressivement en juin 2021 et cette reprise a été marquée par des prises d’abonnements plus tardives, l’absence de public international et des levers de rideau qui ne se font pas à cause du Covid-19. Mais, sur les 70 représentations du mois de décembre, nous n’en avons perdu que cinq, alors que janvier et février ont été difficiles avec l’explosion du variant Omicron. Il y a eu beaucoup d’artistes touchés sur scène et dans l’orchestre, donc plusieurs annulations. Mais il ne faut pas surproblématiser nos difficultés. Ce qui était grave pendant la pandémie, c’était la quasi-absence de recettes et l’impossibilité de vendre des places, alors que notre modèle repose à près de 60 % sur des recettes propres. Nous n’avons pas pu jouer pendant dix mois en 2020. Nos ressources propres ont encore été en déficit d’environ 60 millions d’euros en 2021, contre près de 90 millions en 2020.
Comment la fréquentation se porte-t-elle ?
Aujourd’hui, il est plus difficile de dire à l’avance comment une série de représentations va marcher. Sur Don Giovanni en février, on était inquiets et finalement nous avons dépassé les prévisions. Pour les nouvelles productions, la demande est telle que nous n’avions aucun souci. A Bastille, avec 2 700 places, il est plus difficile de remplir avec des reprises. Pour les équipes chargées des ventes, le changement de contexte et de comportement des spectateurs est un défi quand on sait que 20 % des places, souvent les plus chères, sont d’habitude achetées par les touristes venus d’Asie ou d’Amérique du Nord. On a commencé la saison 2021-2022 avec 40 % d’abonnements en moins. Nous avons lancé des études pour comprendre si ces changements sont structurels ou conjoncturels.
Comment faire venir un public plus local ?
C’est une réflexion générale. Nous essayons de ne pas baisser les prix, car, dans l’équilibre de notre budget, les recettes sont importantes. Un tiers des places est toujours à moins de 50 euros. Nous voulons protéger cela. Il faut des places abordables. Après, pour des spectacles qui marchent très bien, pouvons-nous pousser à la hausse le prix des places les plus chères ? C’est une réflexion que nous avons.
Vous avez été fortement aidés pendant la pandémie. Anticipez-vous de demander de nouveau du soutien ?
Nous avons été très aidés. Sur les 106 millions d’euros que nous aurons reçus sur trois ans, 86 millions sont des soutiens pour faire face à la crise. Par rapport à d’autres structures dont les agents sont payés par l’Etat, nous avons beaucoup plus de charges fixes. Il n’y a pas eu de chômage partiel à l’Opéra. Pour 2022, le soutien exceptionnel prévu en fonctionnement est de 5 millions d’euros, mais les perspectives de nos recettes vont être dégradées plus durablement. Le retour à la normale sera plus lent qu’espéré.
Cela vous oblige-t-il à faire plus d’efforts ?
Ce soutien public nous oblige à montrer que nous faisons les efforts nécessaires pour faire évoluer notre fonctionnement et limiter nos coûts, en trouvant des voies de consensus. Il faut regarder où on met le curseur. L’évolution de nos modèles se fait en dialogue avec la tutelle et les personnels, et en même temps nous devons rester ambitieux.
Pourriez-vous revoir la convention collective ?
Cela doit faire partie des évolutions à venir, mais de matière maîtrisée. On ne peut pas travailler sans cette convention collective et elle ne peut être modifiée que par la négociation.
L’Opéra de Paris est-il une maison réformable ?
La réforme de l’Opéra fait partie du mythe de l’Opéra. Il y a un peu de vérité, mais nous sommes ce que nous sommes : une maison très exposée depuis sa création. Cela crée de l’attention, mais aussi de l’opposition, de la contestation. Ce que je remarque, c’est qu’il n’est pas facile de se rendre compte de notre taille et des enjeux qui vont avec. On retient les grands chiffres, un grand budget, une grande subvention, beaucoup d’activités. Mais on fait 400 spectacles par an, avec du chant, de la musique, de la danse, des scénographies… Garnier et Bastille représentent 4 800 places presque chaque soir et la moitié des entrées des spectacles lyriques et chorégraphiques en France ! Cela n’existe nulle part ailleurs. Nous avons 1 500 salariés, dont 300 à 400 qui peuvent être mobilisés sur un spectacle un soir. Et le Met [Metropolitan Opera] de New York a des coûts de représentation plus élevés que les nôtres ! Il faut prendre en compte ce contexte, tout en s’inscrivant dans une démarche d’avenir pour la maison.
Comment faire venir de nouveaux publics ?
Quand vous avez une grande diversité de spectacles, vous avez des publics plus larges. A Garnier, Hofesh Shechter attire un public différent de celui de Don Quichotte à Bastille. Il faut toujours faire des efforts pour les familles, pour les jeunes avec des avant-premières, mais il faut aller encore plus loin. Avec l’Académie, nous allons accentuer nos efforts vis-à-vis des collectivités. Notre modèle économique nous force à jouer en salle, mais il y a beaucoup de demandes, d’attentes émanant de tout le territoire auxquelles nous ne pouvons pas répondre, car ces tournées sont déficitaires. Il faut répondre à des objectifs contradictoires. L’Académie a une belle présence cette saison avec deux productions à Dijon et, dans le futur, nous voulons développer cela avec des partenariats intelligents avec d’autres maisons. Nous ne sommes pas dans une démarche impérialiste.
Comptez-vous toujours créer une troupe de chanteurs lyriques ?
Si tout va bien, elle sera créée à partir de la saison 2023-2024. L’idée est née lors du premier confinement, on s’est demandé comment stabiliser économiquement les chanteurs et s’il n’était pas opportun de fidéliser un groupe d’entre eux, pour qu’il se produise régulièrement à l’Opéra, comme le font les danseurs du Ballet. Ces chanteurs seraient là pour une durée de trois à cinq ans, après avoir été sélectionnés sur audition. On ne veut pas avoir une troupe de 100 chanteurs lyriques dans vingt-cinq ans, mais un groupe d’une taille restreinte, 10 à 20 chanteurs, qu’on accompagnera et qui seront amenés à se renouveler. Cela restera minoritaire et il y aura toujours des chanteurs invités.
Qu’allez-vous faire de la seconde salle de Bastille, qui n’a jamais été exploitée ?
La salle modulable va être occupée par...
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