Dans un secteur du spectacle vivant en crise et saturé, les jeunes compagnies sont particulièrement vulnérables. Des structures existent pour aider les artistes émergents, comme le réseau Prémisses ou le festival Impatience, qui s’ouvre le 10 décembre.
Un texte exigeant, très littéraire, que porte seule la comédienne en scène, Ambre Febvre, comme elle porte sa lourde robe-armure en bris de verre. Ce jour de novembre, c’est le filage de la pièce la Cavale, dans la salle Christian-Bérard du vieux théâtre de l’Athénée. Une histoire de traque, de folie et de cauchemar. Le texte écrit par Noham Selcer, 34 ans, est entièrement dégenré ; un comédien ou une comédienne peuvent indifféremment jouer le personnage de la Cavale sans qu’un seul son ne change car «la peur, explique Noham Selcer, concerne tout le monde». Le spectacle sera joué pour la première fois le lendemain, dans la même salle. «Là on arrive au moment où il nous faut jouer devant un public pour avancer», dit le jeune metteur en scène Jonathan Mallard, qui a créé sa compagnie il y a trois ans. Ambre Febvre enchaîne : «Je n’ai pas de partenaire et j’ai maintenant besoin de sentir des réactions dans la salle, des souffles, des raidissements, des petits rires pour aller plus loin.» Le spectacle bougera chaque soir, expliquent-ils, «c’est pour cela que c’est si important d’avoir une série longue».
Une «série longue», c’est-à-dire une dizaine de jours à être programmés dans une même salle, pouvoir s’installer dans ses murs et prendre le temps de faire évoluer à la marge le jeu ou les lumières. Patiner le spectacle. Se conforter, se consolider. Et avoir le temps de profiter des retombées du bouche à oreille s’il est bon. Or jouer dix jours dans un même lieu est devenu un petit luxe dans les théâtres, surtout pour des compagnies émergentes qui sont les premières à pâtir de la crise économique du spectacle vivant. L’inflation (des prix de l’énergie notamment) et la stagnation des subventions publiques ont contraint les salles à réduire leur budget consacré à la programmation, reportant, de facto, les difficultés sur les compagnies dont le nombre de représentations a baissé, quand elles n’ont pas tout simplement été annulées. Proposer des formes innovantes pensées par de jeunes artistes inconnus ? Trop risqué pour la plupart des lieux qui doivent s’assurer d’attirer un maximum de public pour «faire de la billetterie». «Le constat se précise d’année en année : les jeunes compagnies connaissent un immense problème de précarité. Précarité sociale surtout mais aussi manque de moyens pour monter leurs créations, témoigne Arnaud Antolinos, secrétaire général de la Colline à Paris et administrateur de la Fondation Entrée en scène, créée en 2020 par l’Ensatt et la Colline comme un «incubateur de talents». Elles ont un cruel besoin de visibilité, au risque de se faire arnaquer par des salles sans scrupule.» Et quand on n’a pas encore de carnet d’adresses, comment montrer son travail ? «La saturation du réseau est telle que les jeunes compagnies n’arrivent même plus à rencontrer des programmateurs, confirme Véronique Bellin, directrice adjointe du Théâtre public de Montreuil. C’est là que se sont montées «les Permanences du TPM», trois journées portes ouvertes par saison où les jeunes artistes peuvent rencontrer n’importe quel membre de l’équipe, de la diffusion à la technique en passant par les relations presse, pour lui poser des questions précises et se faire aider dans ses démarches.
De nombreux dispositifs ont été mis sur pied pour soutenir les compagnies émergentes. Des festivals, des résidences, des mécanismes de subvention, comme le Jeune théâtre national (JTN) qui contribue aux salaires des élèves issus d’écoles d’art dramatique, des compagnonnages, comme celui de l’association Actée, ou des collectifs créés par les jeunes compagnies elles-mêmes comme Urgence Emergence. Ce mois-ci, pas moins de deux festivals consacrés à la jeune création lancent leur nouvelle édition : Impatience, déjà bien installé dans le paysage, et le plus jeune festival du Nouveau théâtre de l’Atalante. Au téléphone, José-Manuel Gonçalvès, le directeur de la salle du Centquatre, à Paris, à l’origine du festival, le répète...
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