Chaque jeudi, c'est Le Match. On confronte deux opinions autour d'une question… et à vous de forger votre propre point de vue// Aujourd'hui, le débat porte sur un nouveau projet de loi, porté par le ministère de la Culture : faut-il appliquer une redevance sur les appareils reconditionnés ?
C'est une affaire qui oppose même au sein des ministères. D'un côté, la Culture, dont le secteur est durement touché, souhaite mettre en place une redevance sur les produits électroniques reconditionnés. Il s'agit d'élargir une mesure déjà existante : celle sur la copie privée, prélevée par l'entreprise Copie France, sur les appareils neufs qui peuvent stocker des oeuvres culturelles (téléphones, tablettes, cartes mémoires, clés USB, etc.) L'objectif de cette redevance : offrir une « rémunération compensatoire pour les auteurs des oeuvres copiées dans un cadre non commercial et non professionnel ». De l'autre, le Numérique et l'Ecologie, qui arguent que la mesure fragiliserait les foyers modestes et serait désincitative pour le secteur de l'occasion.
La taxe pourrait aller jusqu'à 14 euros sur l'achat d'un appareil (pour un 64 Go). Un montant non négligeable au regard des 2 millions de téléphones reconditionnés vendus en France en 2020. Benoît Varin, le cofondateur de Recommerce, y voit aussi un moyen malheureux de freiner l'économie circulaire. Face à lui, le président de Copie France rappelle la nécessité de soutenir le secteur de la culture, mis à genoux par la pandémie. Le débat est ouvert.
POUR - Bruno Boutleux, président de Copie France
« Il faut d'abord tordre le cou à une idée reçue. Non, la rémunération pour copie privée n'est pas un impôt ! Elle est la contrepartie d'un droit dont chaque amateur de culture bénéficie quotidiennement : celui de copier librement des oeuvres protégées (films, musiques, photos, livres…), acquises légalement, pour son usage personnel. En contrepartie, les auteurs, artistes et producteurs reçoivent une rémunération qui compense la copie massive et gratuite de ces productions. Ce mécanisme profite à la fois aux consommateurs, aux créateurs, artistes et professionnels de la culture. Mais il donne aussi beaucoup de valeur aux smartphones, tablettes, etc. qui présenteraient bien moins d'intérêt s'il était interdit d'y stocker nos contenus culturels.
A propos des appareils reconditionnés, certains voudraient nous faire croire que la rémunération est payée deux fois. Mais la loi est claire : c'est le consommateur final qui paie cette rémunération, pas le fabricant ou le « reconditionneur ». D'ailleurs, les barèmes applicables sont calculés d'après des sondages très précis effectués auprès des consommateurs afin d'évaluer le volume des oeuvres copiées.
L'exonération des appareils reconditionnés n'est pas justifiée car d'une part, comme je viens de le dire, chaque consommateur y est soumis équitablement et d'autre part, les usages en matière de stockage d'oeuvres sont similaires sur un appareil neuf ou reconditionné. Enfin, à ceux qui nous accusent d'empêcher le développement de ce marché vertueux, il faut dire que la rémunération pour copie privée ne représente que 3 à 4 % du prix d'un téléphone reconditionné, vendu en moyenne 332 euros. Son montant n'est donc pas de nature à perturber le marché alors qu'il constitue un enjeu important pour le financement de la culture. Ajoutons que ce secteur est largement dominé par des acteurs économiques puissants qui développent un marché à fort potentiel à coups de levée de fonds provenant de grands groupes financiers. On est très loin d'une économie circulaire composée d'acteurs associatifs de proximité.
Dans un contexte de crise historique, la rémunération pour copie privée est essentielle à la survie d'une création française fertile et diversifiée. Priver la culture des revenus provenant du secteur très florissant des appareils numériques reconditionnés porterait un grave préjudice aux artistes, aux auteurs et aux entreprises du secteur, estimé aujourd'hui à 30 millions d'euros. Certes la culture est pleinement solidaire de la volonté du gouvernement de contribuer à la transition écologique. Mais lorsque l'Etat veut encourager la voiture électrique, il ne demande pas à Renault de vendre la Zoé au prix de la Twingo. Il met en place des aides gouvernementales. A titre d'exemple, la TVA applicable aux reconditionnés est de 20 % comme pour les appareils neufs. »
CONTRE - Benoît Varin, cofondateur de Recommerce Solutions
« Le reconditionnement participe activement à répondre aux défis actuels de notre société : réduire notre empreinte environnementale, encourager la consommation responsable et solidaire et faciliter l'accès au numérique au plus grand nombre. Choisir un smartphone reconditionné permet d'éviter l'émission de 30 kg de CO2 en prolongeant sa durée de vie. Selon nous, il est donc important de sensibiliser les Français au recyclage des quelque 100 millions de téléphones qui dorment dans leurs tiroirs.
Lorsque nous avons fondé Recommerce, nous étions animés par l'envie de construire une nouvelle économie, plus circulaire et pour rendre accessibles les équipements high-tech au plus grand nombre. Onze ans plus tard, ces mêmes valeurs continuent de nous inspirer et sont partagées par nombreux acteurs du marché de l'occasion, qui séduit de plus en plus de consommateurs.
Aujourd'hui, le secteur génère 2.000 emplois directs et entre 50.000 et 100.000 emplois indirects. L'enjeu économique est d'arriver à ce que la réparation et l'achat d'un produit reconditionné ne coûtent pas plus cher que d'acheter un produit neuf. Actuellement déjà de nombreuses taxes (TVA, DEEE…) et contraintes (concurrence, audit qualité, pièces détachées…) font augmenter les coûts de production et des coûts de revient.
Ainsi rajouter...
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