Un an après sa prise de fonctions, la présidente de l’institution qui œuvre au rayonnement français à l’étranger donne un aperçu de sa feuille de route, dans un entretien avec « Le Monde ».
Nommée à la présidence de l’Institut français le 1er juillet 2021, Eva Nguyen Binh, ancienne ambassadrice de France au Cambodge, entend donner une nouvelle impulsion à cette institution qui œuvre au rayonnement de la culture française à l’étranger, au moment où celle-ci célèbre son 100e anniversaire.
Quel regard portez-vous sur la diplomatie culturelle de la France ?
L’influence de la France n’est pas un acquis. Elle est remise en cause, questionnée, battue en brèche dans un certain nombre de pays, notamment en Afrique. En même temps, cette politique culturelle fait envie. Je rencontre beaucoup de gens, des ministres de pays étrangers qui me disent : « Mais comment faites-vous, comment êtes-vous organisés ? »
En quoi cette défiance change-t-elle votre action ?
Nous sommes dans un moment de défis, où l’Institut français, dans toutes ses composantes et tous ses relais, doit être extrêmement ouvert sur les autres et parler à tout le monde. Dans l’histoire de notre maison, il y a eu des périodes où nous parlions beaucoup aux autorités locales et aux artistes. Aujourd’hui, nous parlons à toutes les composantes d’une société, c’est-à-dire aussi les ONG, les entrepreneurs, les représentants des sociétés civiles, etc. Le débat d’idées prend désormais une place essentielle. J’en veux pour preuve le cycle de forums que nous lançons en Afrique, en octobre [Notre Futur. Dialogues Afrique-Europe, dès le 7].
Comment abordez-vous ce type de rencontres ?
Le changement de paradigme vient du fait que nous n’organisons rien s’il n’y a pas de partenaires locaux, si, localement, nos interlocuteurs trouvent que cela n’a pas d’intérêt. Ce n’est plus une approche verticale. Nous n’imposons rien, au contraire, nous nous plaçons dans la coconstruction. Cela me paraît important comme orientation, parce que cela irrigue tout ce qu’on va faire, y compris dans le domaine artistique.
Comment cela se manifeste-t-il sur le terrain ?
Nous allons soutenir des projets portés par des galeries, des incubateurs, des entreprises, des associations. Quitte à ce qu’on ne porte pas le projet, mais que nous soyons dans l’accompagnement. Si vous voulez, on laisse le projet se structurer, s’épanouir. On a des projets comme ça au Cameroun, encouragés par l’Institut français sur place. Quand on propose des concepts comme La Nuit des idées, Novembre numérique ou les Dialogues Afrique-Europe, ce n’est pas une injonction, on est dans la collaboration.
Or, aujourd’hui, La Nuit des idées [créée en 2016], c’est dans plus de cent pays, et Novembre numérique, lancé en 2017, dans soixante-dix pays. Et ce qui m’importe, c’est aussi des sujets sociétaux qui sont forts partout, et dont je considère que l’Institut français ne s’est pas totalement emparé.
Après l’actuelle Saison France-Portugal, aucune Saison croisée n’est annoncée pour la suite. Que se passe-t-il ?
Nous sommes dans un moment chamboulé. Il faut rappeler que la programmation prévue à l’origine avec le Japon a été reportée plusieurs fois en raison du Covid-19, puis annulée, même si elle reste dans le radar. Par ailleurs, on va sans doute bientôt annoncer un temps fort sur la Lituanie, proposé par le président de la République, a priori en 2024.
Un « temps fort » et non pas une Saison croisée… Vous dirigez-vous vers un changement de format ?
La Saison croisée est un format très lourd, qui se prépare deux-trois ans à l’avance. Là, il y a un truc qui est de faire du sur-mesure, avec des formes différentes selon l’actualité, les pays, les moyens, les envies. Dans ces temps d’incertitudes, il est urgent de ne pas se dire « c’est fini » ou que l’on repart comme si de rien n’était. Rien n’est remis en cause, mais on fait une pause, forcée par le Covid-19 et des élections qui nous ont tenus des mois. Il y a simplement une incertitude qui est celle des temps, où tout le monde a besoin de plus de flexibilité pour se projeter.
Quelles solutions envisagez-vous ?
Nous allons sortir une feuille de route égalité femmes-hommes, une autre sur le climat, j’espère d’ici à la mi-octobre. On mettra notamment la clause climat dans tous nos appels à projets et relations avec les prestataires. Et on va réfléchir, par exemple, à ce que peut être la création d’expositions sans qu’il y ait de voyages en avion à l’autre bout du monde, même si je n’imposerai jamais de ne faire que des projets de création sans voyage. Il n’est pas question de repli sur soi. Je crois simplement qu’il faut que l’on crée un réflexe climat, et c’est déjà une minirévolution.
Quel est le budget de l’Institut français ?
Il est aujourd’hui de 40 millions d’euros, dont près de 28 millions financés par le ministère des affaires étrangères, et à peu près 2 millions par le ministère de la culture. Pour le reste, il y a du...
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