Selon son bon plaisir, Benjamin Biolay compose, écrit, chante, produit et fait l’acteur. La mélancolie pour moteur et l’indépendance pour horizon. Il balance avec élégance l’indigence des politiques culturelles ou l’atonie du rap actuel… Son dernier disque, “Grand Prix”, irrigué par une énergie contagieuse, sort chez Polydor le 26 juin.
« Comment est ta peine ?/La mienne est comme ça/Faut pas qu’on s’entraîne/À toucher le bas/Il faudrait qu’on apprenne/À vivre avec ça/Comment est ta peine ?/La mienne s’en vient, s’en va. » Ça s’appelle un tube. La première chanson extraite du nouvel album de Benjamin Biolay, Grand Prix — bien plus rock qu’à l’accoutumée, conçu juste avant le confinement —, décline un sentiment intime en mode universel, par la magie d’une simple chanson. Vingt ans que le surdoué de la variété, versant pop, s’interdit de se reposer sur ses lauriers. Boulimique, travailleur acharné sous ses dehors de séducteur indolent, le natif de Villefranche-sur-Saône, issu d’une famille modeste, mène sans répit, à 48 ans, plusieurs carrières de front. Et même plusieurs vies, puisque la sienne se partage depuis des années entre la France et l’Argentine. Producteur pygmalion pour d’autres, acteur docile mais de caractère au cinéma, curieux de tout — du sport à la politique, de la BD à la littérature —, il ne s’interdit rien. Pour mieux nourrir une œuvre de chanteur solitaire mais bien entouré, qu’il se refuse à voir basculer en pilotage automatique. Ses amours, à la fois fidèles et multiples, qu’il ne cache pas, ses amis, ses influences, ses lubies et passions sont le moteur artistique de cet homme aussi tranquille que pressé. Son carburant ? Une mélancolie positive qui conjugue résignation et indignation, tout en pensant l’avenir possible. Son secret ? Mettre son talent et ses facilités au service de son bon plaisir, celui de croquer la vie et le monde à belles dents, tels qu’ils viennent, tels qu’ils vont. Il est le rédacteur en chef cette semaine de notre numéro et intervient dans tous les articles que nous publions.
Alors, cette première sortie post-confinement ?
Je suis ravi que cet entretien ait lieu de visu, en chair et en os. Le contact humain est important. Mais le reste, les gens dans la rue, les boutiques rouvertes, la circulation qui a repris, non. Cette gesticulation frénétique ne m’enchante pas. On est tous tributaires de notre capacité à être intelligent ou curieux. Une personne dépourvue de ces qualités a forcément mal vécu le confinement, puisqu’elle s’attache à l’illusion d’une vie sociale pour combler un certain vide intérieur. Je suis assez solitaire au fond, d’autant qu’étant qu’artiste j’ai une vie assez monacale. En fait, j’ai surtout de la peine pour ceux qui vivent dans la marge, dans la rue : les SDF, les prostitués, pour qui nul ou presque n’a eu un mot…
Vous avez donc vécu un confinement heureux…
Je fais partie des chanceux. Tel un radeau, mon album tout juste bouclé m’a permis de traverser le naufrage, avec la perspective d’une tournée à venir à l’automne. Comme tous ceux qui aiment profondément la musique, j’ai pu, grâce à cette période de repli imposé, en réécouter avec un intérêt décuplé. Ce que j’ai fait, des jours d’affilée, avec l’album des Strokes. Ça ne m’était pas arrivé depuis des lustres.
Votre premier bagage musical est plutôt anglo-saxon ?
Comme Daho, Dominique A et Murat. Et comme eux, le fait d’écrire en français m’a ramené à des choses plus anciennes, de chez nous, que j’ai réécoutées, en faisant un peu abstraction de l’esthétique. Parce que la chanson française a toujours été gênante, avec tous ces arrangements bien ringards. Peu d’entre nous sont à la fois auteur-compositeur, voire même arrangeur et producteur. Or là est le problème majeur. Michel Delpech, par exemple, était fou de pop anglo-saxonne, mais il avait besoin d’un parolier ou d’un compositeur. À l’instar de la plupart des artistes français, il était dépendant, n’avait aucun contrôle. Pour être viable, il faut être autosuffisant. En France, cette tradition de...
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