Du théâtre au cinéma, en passant par l'édition et la musique, le monde de la culture est particulièrement touché par la crise. Franck-Olivier Laferrère estime qu'il est possible néanmoins d'agir.
Alors que le déconfinement a commencé, nous mesurons encore mal l’étendue de la catastrophe économique qui menace les entreprises culturelles et avec elles, l’action culturelle qui reste l’un des ferments de l’unité nationale que l’épreuve commune que nous affrontons, comme le montre les dissensions qui se font jour çà et là, qu’elles soient mues par l’expression d’un malaise réel ou par l’opportunisme politique le plus triste, ne suffira pas à préserver. Quand bien même nous ferions, les uns et les autres, appel au souvenir du beau discours sur la nation d’Ernest Renan.
SAUVER LA CULTURE
Il faut sauver la culture. Il faut le vouloir avec la même détermination que celle qui anima Winston Churchill sous le Blitz à Londres alors qu’on lui demandait de renoncer au financement de ladite Culture pour soutenir l’effort de guerre. "Pourquoi nous battons-nous, alors ?", aurait-il répondu. Et effectivement, pourquoi nous battons-nous, si Fernando Pessoa a également raison et que la littérature est, déjà à elle seule, la preuve que la vie ne suffit pas ? Et a fortiori, la survie, inquiète et réduite au strict minimum ?
Il y a maintenant un peu plus de dix ans, deux ans avant l’occupation des places à travers le monde par les mouvements de contestation, j’avais pris soin, en tant que directeur de la Foire Saint-Germain qui se tenait place Saint-Sulpice dans le sixième arrondissement de Paris, de théoriser l’urgente nécessité de favoriser la réappropriation de ces espaces communs par les publics. Travail qui était remonté jusqu’au au ministère de la Culture, après être d’abord passé par le CNL, la région Île-de-France et la mairie de Paris, recevant le plein soutien de tous, jusqu’à ce que la ville qui, pour des raisons de querelles politiques internes, dut céder devant les sempiternelles récriminations d’un édile d’arrondissement persuadé que ce n’était pas la vocation de sa circonscription de devenir, selon ses propres mots, un "Avignon bis", préférant à ce festival transdisciplinaire, un enchaînement bien triste de marchés d’art, sans concert, ni lecture, ni représentation théâtrale...
C’est pourquoi il me semble qu’en pleine crise sanitaire aux conséquences sociales et économiques encore incalculables, ce travail à la fois théorique et concret – je me permets de rappeler ici que le festival transdisciplinaire de la Foire Saint-Germain accueillait en 2009 et 2010, près de 150.000 spectateurs dans un espace de 1.200 mètres carrés sur une période de 45 jours ouvrables – redevient, si tant est qu’un jour il ne l’ait plus été, d’une cruelle actualité.
Certes, dans des conditions de circulation et d’organisation moins libres qu’elles ne le seraient sans les menaces qui se sont fait jour le 7 janvier 2015 et se sont, depuis, doublées d’un risque sanitaire mettant en jeu la vie de centaines de milliers de nos concitoyens. Mais à vrai dire, peu importe que les difficultés soient là, le temps qui vient ne peut être celui d’une nostalgie mortifère désespérément ancrée dans l’hier, ce monde d’avant que d’aucuns espèrent retrouver à l’exact identique, mais doit être, au contraire, celui d’une lucidité courageuse et, en même temps, inapte au malheur et au désespoir, soucieuse de penser l’immédiat et non un après-demain aussi illisible qu’incertain, sans céder à la cruelle tentation du tout ou rien qui pour l’instant semble l’emporter au sommet de l’État.
D’autant qu’il ne s’agit pas d’une menace qui pèserait seulement sur certains secteurs de la culture, en épargnant d’autres, et nous laissant ainsi le désagréable loisir de considérer certains sacrifices comme acceptables au nom du bien commun, mais bien sur l’ensemble de celle-ci, de l’accès aux œuvres confinées dans les musées, en passant évidemment par tous les arts de la scène jusqu’à celui du cinéma et ce, sans épargner le monde du livre qui, depuis des décennies maintenant, ne vit pas uniquement de la vente de ses œuvres en librairie, mais pour une part conséquente, des rencontres publiques et autres salons qui en sont devenus le cœur battant.
Mais aujourd’hui que le festival d’Avignon...
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