Paradoxe de la crise sanitaire, de nombreuses « expositions fantômes » ont été installées au Grand Palais, au Centre Pompidou, au Musée d’Orsay ou ailleurs, pour un public plus qu’incertain, raconte dans sa chronique Michel Guerrin, rédacteur en chef au « Monde ».
Chronique. Cela peut surprendre au moment où toute la culture ou presque est à l’arrêt, mais les expositions temporaires continuent d’exister avec frénésie dans les musées. Comme si de rien n’était. Problème de taille, le public est incertain, voire introuvable. La situation est si inédite qu’on les appelle dans le milieu les « expositions fantômes », une formule à la fois poétique et amère.
Cernons quatre cas de figure : des expositions stoppées dans leur envol sans pouvoir rouvrir ; celles qui rouvriront mais sans savoir quand ; celles qui attendent leur inauguration ; et puis celles qui étaient au mur mais n’ont jamais ouvert.
Le dernier cas confine au fiasco, par exemple l’exposition de photos « Noir et blanc », prévue au Grand Palais en avril 2020, reportée en novembre, puis en décembre, et qui finalement n’ouvrira jamais, le bâtiment devant fermer en mars pour travaux. Cet événement avait une fenêtre de tir, de juillet à octobre, quatre mois durant lesquels les musées ont fait le plein de visiteurs entre deux confinements. Mais le créneau était en partie dévolu à un autre événement, qui finalement n’a pas eu lieu. Résultat : des cimaises montées, démontées, remontées, démontées ; deux cents photos choisies et mises au mur pour rien, sauf qu’elles seront filmées pour alimenter le site Internet du Grand Palais. Il y a le catalogue, mais il est à 45 euros. On a aussi pu voir des photos dans le métro.
Ralentir ou annuler ?
Le métro parisien dit l’ampleur d’un phénomène, tant ses murs sont tapissés d’affiches qui font la promotion d’expositions fantômes. Matisse au Centre Pompidou, « L’es Origines du monde » au Musée d’Orsay, Chanel au Palais Galliera, Renaud à la Cité de la musique, des dessins au Musée des arts décoratifs, tant d’autres encore.
Autant dire que les musées ont voulu faire un automne du tonnerre comme s’ils n’avaient pas tiré les leçons d’un printemps sinistré. Ils se sont pourtant posé la question : faut-il ralentir le rythme, annuler un événement, le geler une année en attendant d’y voir clair, ou alors tenir coûte que coûte en pariant sur le repli de la pandémie ?
Très peu ont imaginé des plans B. Le Musée de Grenoble a conçu par exemple une exposition tirée de ses collections, facile à monter, au cas où celle du peintre Giorgio Morandi ne pourrait être prolongée jusqu’à juin. Plus radicaux, les musées Picasso et Rodin, à Paris, n’ont rien présenté d’inédit à l’automne 2020 et ouvriront conjointement, quand ce sera possible, l’exposition « Picasso-Rodin », qui durera jusqu’à début 2022 – de quoi voir venir.
Sinon, quasiment tous les musées ont continué comme avant. Ils débordent même d’énergie pour repousser de mois en mois leurs grosses expositions (calendrier, prêts d’œuvres, etc.) et étirer leur durée de vie.
« Les Origines du monde » n’a pu ouvrir le 10 novembre au Musée d’Orsay mais peut rester en place jusqu’à juin avant d’aller à Montréal. Celle du Louvre sur la sculpture italienne a été vue par 19 000 personnes dans les huit jours qui ont suivi son ouverture le 22 octobre, puis a fermé, et peut tenir jusqu’à mai, avant d’aller à Milan. La Fondation Vuitton a reporté de février à mai l’ouverture de son exposition très attendue sur la collection Morozov.
Mais les musées pourront-ils rouvrir d’ici là ? Connaîtront-ils le triste sort de l’exposition Matisse au Centre Pompidou, vue par 24 000 personnes en neuf jours fin octobre, mais en péril puisqu’il est impossible de repousser sa fermeture, fin février.
Renoncer, un mauvais signal
Certains trouvent déraisonnable d’avoir maintenu en vie les expositions calibrées pour des centaines de milliers de visiteurs et qui en accueilleront cinq à quinze fois moins.
L’obstination confine parfois à l’orgueil, avec des œuvres qui finissent sur le bûcher des vanités, comme s’il était impossible de penser un autre modèle. D’autant que ces événements coûtent jusqu’à 3 millions d’euros, à mettre en regard avec les pertes salées des grands musées depuis dix mois, note qui sera réglée par leur bienfaiteur – l’Etat ou une ville. Ainsi l’exposition d’Orsay, portée par 80 prêts du monde entier, quelle que soit sa qualité, a tout de l’ancien monde. Que dire de celle consacrée au peintre Hyacinthe Rigaud, qui attend de pouvoir ouvrir au château de Versailles, un lieu qui annonce 40 millions d’euros de recettes en moins en 2020 et qui n’est pas vraiment identifié pour ses expositions ?
Ces musées ont pourtant des arguments. D’abord leur activisme fait consensus, y compris à l’étranger. La pandémie a même soudé leurs liens. Il n’est pas simple d’arrêter des expositions en coproduction, imaginées il y a trois ans voire plus.
Renoncer est un mauvais signal envoyé au public, aux artistes et à tous les métiers liés aux expositions. Désastreux aussi pour le moral des troupes. Et puis les expositions ont plutôt bien marché entre juin et octobre, comme James Tissot à Orsay. Ajoutons que les musées étaient...
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