Pour les salles de spectacle, ce n’est pas la date de réouverture qui compte mais les conditions, explique Michel Guerrin, rédacteur en chef au « Monde ».
Chronique. Les musées et les monuments vont rouvrir en juin et ils sont heureux. Les cinémas aussi et ils sont soulagés. Les salles de spectacle également et elles sont angoissées, voire indignées. Jamais contentes, les salles ? Sauf que, pour elles, ce n’est pas la date de réouverture qui compte mais les conditions. Ce verrou, lui, est figé. Leurs directeurs, les producteurs de musique aussi, pour beaucoup à la tête d’entreprises privées, et même certains qui pilotent des lieux subventionnés, disent ceci : tant qu’on ne peut ouvrir avec une salle pleine ou quasi pleine, mieux vaut rester fermé. Sans grosse billetterie, la reprise des spectacles ne ferait qu’alourdir notre ardoise, déjà bien chargée depuis deux mois.
Or, à ce jour, les mesures de distanciation physique imposent des jauges à 15 % ou 30 % selon les lieux et selon que le public est assis ou debout – debout, on ne sait pas encore si c’est permis. Ce qui, au-delà du modèle économique, soulève la question de l’ambiance : le chanteur Dominique A ne se voit pas se produire devant une salle clairsemée et masquée.
La vraie rentrée pour septembre ou octobre
Des festivals et spectacles auront bien lieu cet été, de format modeste. Mais la vraie rentrée sera pour septembre ou octobre, voire bien plus tard, quand le virus aura disparu. D’autant que la machine sera lourde à redémarrer. Attention, la filière spectacles ne conteste pas les mesures sanitaires. Elle sait que l’alchimie parfois torride entre la scène et le plateau explique pourquoi les grosses salles furent les premières à fermer et seront les dernières à rouvrir. Elle sait aussi que ce ne sera pas facile pour les musées ou les cinémas. Elle attend enfin, ce week-end, un décret qui précisera les conditions de réouverture.
Mais elle a aussi le cœur lourd pour d’autres raisons. Cette réouverture sans un mot de mansuétude sur leurs difficultés spécifiques, comme si l’essentiel était fait, sans mesures d’accompagnement, passe mal. C’est « débrouillez-vous ! » Certains le pourront, pour beaucoup dans le public, d’autres pas dans le privé.
La frontière qui les sépare ravive une fracture ancienne. Le spectacle privé se sent méprisé par le ministère de la culture et par ses fleurons. L’Etat couve en priorité, et on peut le comprendre, les théâtres, salles de musique ou lieux de danse qu’il subventionne. Il les soutient au nom de l’art. Et il leur demandera de rouvrir, même avec des formats modestes, et d’assurer leurs missions de service public. Au contraire, l’Etat regarde de loin les lieux privés et leurs patrons, assimilés souvent à des marchands, qu’ils soient les promoteurs du rock mondialisé ou du rap hexagonal.
Les gens de culture appelés à « se réinventer »
Ces salles et producteurs privés perçoivent des aides indirectes. Ils ont bénéficié du précieux chômage partiel, mais, depuis quelques semaines, ils se sentent ignorés, comme s’ils n’appartenaient pas au monde qu’il faut. Ils ont adressé au ministère deux demandes en urgence pour éviter les faillites : un prolongement du chômage partiel à taux plein jusqu’en août 2021 et...
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