Face aux enjeux climatiques, il est essentiel que le secteur culturel apporte lui aussi sa pierre à l’édifice pour favoriser l’émergence de nouvelles manières d’habiter notre planète affirme, dans une tribune au « Monde », le chercheur Guillaume Logé.
TRIBUNE, par Guillaume Logé, chercheur associé à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Plus personne n’est à convaincre : l’écologie constitue l’enjeu le plus crucial du XXIe siècle. L’habitabilité de la Terre en dépend. S’il est trop tard pour remédier à la nature des conséquences que le présent et les décennies à venir auront à subir, il y a urgence à agir pour en amoindrir les proportions et nous préparer à y faire face. En quoi ce sujet concerne-t-il la culture ?
La transition écologique ne dépend ni d’une avancée technologique ni d’une hypothétique nouvelle source d’énergie qui viendraient miraculeusement tout arranger. Nous en savons assez pour nous nourrir, nous loger, nous déplacer autrement. La clé de la réussite en matière écologique repose désormais sur les manières dont nous comprenons nos relations avec la Terre et le sens que nous y projetons. Autrement dit, elle dépend du monde que nous nous représentons et de notre envie de le faire advenir.
Imaginer un monde et le désirer : n’est-on pas en droit d’affirmer que la culture devrait jouer le rôle principal en la matière ? Elle est d’ailleurs déjà à l’œuvre. Pour l’heure, elle provient majoritairement des acteurs des secteurs économique et médiatique au sens large. C’est une banalité de dire qu’ils sont producteurs d’images, de rêves, de modes de vie ; ça l’est moins de dire que cette production intéresse directement l’écologie.
L’opportunité d’une politique culturelle inédite
Tous ceux (personnes, entreprises, institutions) qui « influencent » devraient s’interroger sur la nature de leur production culturelle. On pourrait attendre d’un tel travail qu’il aide à accoucher de nouveaux modèles, ceux-là que les citoyens, consommateurs, collaborateurs des entreprises, conscients des enjeux, vont réclamer avec de plus en plus d’intransigeance.
Mais c’est sur la question de l’engagement du secteur culturel proprement dit que nous voulons nous focaliser aujourd’hui.
Comment, sur le fond, contribue-t-il à la transition écologique ? Il faut commencer par saluer les initiatives qui fleurissent ici ou là. Le Palais de Tokyo a lancé récemment le programme « Palais durable » et vient de proposer l’exposition « Réclamer la terre ». Le 10 octobre, le Centre Pompidou proposera un cours en ligne (MOOC) « Art et écologie ». Les expositions « Les vivants » et « Novacène » présentées dans le cadre de la 6e édition de Lille 3000, ferment leurs portes aujourd’hui. A Metz, en 2016, le Centre Pompidou a organisé l’exposition « Sublime. Les tremblements du monde ».
A Metz, le Centre Pompidou a présenté, en 2016, l’exposition Le Centre international d’art et du paysage sur l’île de Vassivière (CIAPV) est résolument tourné vers les enjeux actuels. Sous l’impulsion de sa chaire Laudato si’. Pour une nouvelle exploration de la Terre, le Collège des bernardins, à partir du 14 octobre, accueillera une exposition de Laurent Grasso, intitulée « Anima ».
Des offres concrètes à mettre en place
Force est de constater que le sujet s’installe dans l’art contemporain. Mais, au-delà de ces exemples, plusieurs questions se posent. Quel poids représente l’ensemble de ces opérations dans le calendrier annuel de l’art contemporain en France ? Et dans le calendrier de l’art tout court ? Ou, exprimé de façon plus générale : existe-t-il une réelle politique culturelle en matière d’écologie ? Une politique qui serait le reflet d’une stratégie visant l’ensemble des institutions pilotées par l’Etat ou financées par des fonds publics ?
Nous ne parlons pas des réflexions ou des efforts menés pour réduire les conséquences environnementales des bâtiments, les conséquences de tel ou tel événement, la réutilisation ou le recyclage des éléments de scénographie, etc. Nous parlons d’un programme qui toucherait au fond du sujet, qui concernerait tous les domaines de la culture et viserait tous les publics. De nombreuses idées pourraient se voir déployées à l’échelle du territoire.
En voici quelques-unes : mise en place de parcours de découverte des collections des musées sur des thèmes puisant dans les grandes questions de l’écologie (significations et représentations de la nature, rapports homme animal, conceptions du vivant, visions du progrès, inventions du monde, sens de l’émerveillement, de l’altérité, etc.), à travers des visites conférences, audioguides, applications dédiées, cartels ou QR codes à côté des œuvres ; publications ; commandes d’œuvres et mise en valeur des artistes contemporains s’intéressant à ces sujets ; création d’un département « Art et écologie » dans les principales institutions françaises (bibliothèques, musées, opéras, centres de danse, cinémathèques), avec pour objectif de produire de la recherche et des offres de programmation.
Un trésor inestimable pour l’écologie
En poussant la porte d’une institution culturelle, tous les publics, les groupes scolaires notamment, devraient pouvoir trouver une invitation à explorer tel ou tel aspect de l’écologie. En creux, c’est la place de l’art dans notre société que l’on interroge : la limite-t-on à la sphère du loisir, de la « délectation esthétique » ou d’une vocation pédagogique (plus ou moins vague), ou bien se décide-t-on à l’orienter aussi en direction de la dynamique de reformulation du monde que l’époque exige de nous ?
Il n’est pas dans mon intention de convertir les acteurs et les institutions du secteur culturel en activistes ou ONG environnementalistes. Il s’agit simplement...
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