Si la «note structurelle» consacrée aux missions de la Rue de Valois dresse un constat sévère, elle recèle quelques paradoxes, explique, dans sa chronique, Guillaume Fraissard, chef du service Culture du «Monde»
Chronique. Voilà un cadeau de noël dont Roselyne Bachelot se serait sans doute bien passée. La « note structurelle » déposée mardi 14 décembre 2021 sous le sapin de la ministre de la culture par Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes, et consacrée aux missions de son ministère, n’a rien d’un sympathique présent – ces documents le sont rarement cela dit. La cour dresse un constat sévère sur la Rue de Valois et entend apporter sa contribution au débat public non en pointant quelconque gabegie financière, mais en proposant des « éléments de diagnostic » sur des « enjeux essentiels » pour la France, à moins de quatre mois de l’élection présidentielle.
Les griefs ? Atomisation des crédits, politique de subventions et de guichet, manque de stratégie globale, champ d’intervention disparate et trop élargi, incessante valse des ministres, faible attractivité de cette administration pour des cadres, fuite des talents vers le privé… N’en jetez plus, la liste est longue comme un repas de fête. Mis en place en 1959, acteur majeur de la démocratisation et de la décentralisation culturelles, le ministère serait arrivé au bout d’un cycle, constate sans détour la Cour des comptes qui – on ne se refait pas – appelle à plus de modestie et surtout à un périmètre d’action plus restreint. « Le ministère de la culture gagnerait aujourd’hui à sérier les missions sur lesquelles il entend concentrer ses efforts. »
Ce n’est évidemment pas la première fois que la maison fondée par André Malraux et le général de Gaulle se retrouve questionnée sur son fonctionnement et, au-delà, sur son utilité même. Depuis les années 1960, le paysage de l’action culturelle s’est considérablement élargi, modifié, déstructuré sous les effets conjugués de la création de grands opérateurs publics, de la montée en puissance des régions – les collectivités territoriales consacrent près de 10 milliards d’euros par an à la culture, le budget du ministère est, lui, de 3 milliards – et enfin de l’omniprésence des acteurs privés, aux moyens souvent importants et au champ d’intervention étendu.
Spirale d’instabilité
Dans un mouvement inverse, l’impulsion et le volontarisme politiques en matière de culture se sont réduits comme peau de chagrin. Au point que, aujourd’hui encore, le tandem formé par le président François Mitterrand et son ministre de la culture Jack Lang reste toujours le parangon indépassable en matière de politique culturelle dans notre pays. Cela remonte quand même au début des années 1980…
Comment pourrait-il en être autrement alors que la Rue de Valois a connu douze locataires différents en vingt-cinq ans regrette, à raison, la cour ? Et le quinquennat Macron n’a pas cassé cette spirale d’instabilité. Dix-sept mois d’exercice seulement puis Françoise Nyssen s’en est retournée à sa maison d’édition ; vingt mois pour Franck Riester remplacé en pleine crise du Covid-19 par Roselyne Bachelot en juillet 2020.
Juste après la publication de cette note, Pierre Moscovici s’est défendu de vouloir jouer un rôle politique ou de transformer la Cour des comptes en think tank. Les remèdes préconisés pour redonner au ministère de la culture « son élan d’administration stratège » ressemblent pourtant bien à un vade-mecum pour le prochain quinquennat : poursuite du mouvement de décentralisation, augmentation des moyens pour les directions régionales des actions culturelles (DRAC), remise de l’expertise technique au cœur de la machine ministérielle… La cour reprend là quelques-uns des points du « plan de transformation » de la Rue de Valois lancé en juillet 2019. Un processus interrompu à cause de la crise sanitaire et de l’arrivée d’une nouvelle ministre.
Une activité économique « non négligeable »
Mais pas uniquement. Si la cour pose ses diagnostics, elle se garde bien de donner le moindre élément de solution dès lors qu’il s’agit d’entrer dans le concret. Or, c’est souvent là que la machine se grippe. Prenons le saupoudrage des aides et des crédits. La note dénonce, pour le spectacle vivant, une « offre surabondante » et « un déséquilibre entre création et diffusion ». Une fois ce constat établi – et on peut légitimement se demander si c’est bien le rôle de l’institution de s’offusquer d’un trop grand nombre de spectacles en France –, quels crédits doit-on couper ? Quelle compagnie doit voir ses subventions annulées ou au contraire augmentées ? Faut-il produire moins de pièces de théâtre ou de ballets, mais les jouer plus longtemps devant un public plus nombreux ? Personne ne semble pressé de trancher car détricoter ce maillage d’aides revient en définitive à repenser tout un pan de la politique culturelle française.
L’autre paradoxe de cette note est de (...)
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