Il est co-auteur et metteur en scène du spectacle « Coupures » qui reprend en janvier au Théâtre de L’Oeuvre à Paris mais également responsable culture au sein de The Shift Project… Dans cette tribune pour Usbek & Rica, Samuel Valensi appelle l’ensemble des acteurs culturels à se saisir des enjeux de la transition écologique tant par leurs œuvres que par la refonte de leurs modèles de production et diffusion ou par l’image qu’ils renvoient.
TRIBUNE //
Politiser l’art ? Lui demander de prendre part au récit d’une société nouvelle ? De construire des propositions pour l’avenir ? Quelle drôle d’idée ! L’argument m’est opposé quotidiennement : ça n’est pas son rôle.
Vraiment ?
La famille Médicis a-t-elle affirmé sa puissance par la seule possession des banques ou en soutenant les plus grands artistes de son temps ?
Pourquoi interdisait-on les représentations du Mariage de Figaro ? Et pourquoi avoir envoyé Beaumarchais en prison si ce n’est pour avoir remis en question l’ordre établi sous l’Ancien Régime ?
Et l’American Way of Life serait-il devenu une aspiration commune en Europe par la seule volonté des peuples ? Ne serait-ce pas plutôt les accords Blum-Byrnes – pilier du Plan Marshall – qui, au sortir de la guerre, offrirent aux productions américaines la moitié des écrans français ? N’est-ce pas ce cinéma qui nous a fait rêver, nous, la foule sentimentale, d’avoir des quantités de choses qui donnent envie d’autre chose ?
Et que dire du rôle que les récits jouent dans la constitution de nos identités ? Du fait que les américaines qui ont regardé la série X-Files ont 50 % de chances supplémentaires de devenir scientifiques ou ingénieurs que les autres femmes de leur génération ? Un accident ? Si c’en est un, il s’appelle désormais « effet Scully », du nom de l’héroïne incarnée par Gillian Anderson.
Les œuvres que nous regardons déterminent nos aspirations,
changent nos regards, façonnent nos désirs
Les œuvres que nous regardons déterminent nos aspirations, changent nos regards, façonnent nos désirs. Certains répondront que les artistes n’ont pas pour autant la légitimité des scientifiques. Sans doute ! Mais la science ne nous dit ni ce qui est beau, ni ce qui est juste, ni ce qui est moral. La science dit ce qui est vrai : elle dit les faits, simplement les faits ; et, en matière de changement, les faits n’entraînent rien. Parce que, comme le disait le philosophe des sciences Gaston Bachelard, le monde est beau avant d’être vrai.
En finir avec le syndrôme de l’autruche
Les faits sont têtus mais notre surdité face à eux l’est bien davantage : les rapports du GIEC se succèdent, les canicules et les catastrophes suivent le pas, le constat est accablant, mais… rien. Encéphalogramme plat. Le syndrôme de l’autruche. Même notre président déclare ne pas vouloir « écouter les Cassandre » – ce qui veut dire ne pas vouloir écouter la vérité.
Parce que le problème n’est pas de savoir qu’il faut changer. Une conférence de Valérie Masson-Delmotte, de Jean Jouzel ou de Jean-Marc Jancovici suffit : face au constat, tout le monde est pour le changement. Problème : personne n’a envie de changer. De qui dépend ce désir si ce n’est de celles et ceux qui nous cultivent ?
Combien de jeunes, voyant Tom Cruise ou Omar Sy descendant de leur jet privé,
rêvent de leur ressembler ?
Seulement, un obstacle subsiste : quel crédit donneriez-vous à un ou une artiste qui prône dans ses créations une société plus juste ou plus écologique mais dont la scénographie se déplace en semi-remorques et dont les demandes de cachets dépassent l’entendement ?
Après tout, peut-être que nous pourrions l’accepter. Coldplay a bien rempli des stades en annonçant une "tournée écologique", avec 64 semi-remorques sur les routes… nous ne sommes plus à une incohérence près. Pourquoi ne pas prôner la schizophrénie comme mode de vie ?
Oui, l’enjeu politique dépasse très largement le seul cadre de la création.
Bien sûr, il y a d’abord l’auto-fiction que produisent les artistes dans les médias et sur les réseaux sociaux. Un récit qui donne à ceux qui les admirent une certaine idée de...
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