Trente-huit pourcents des Français n’ouvrent jamais un livre, les deux tiers ne visitent ni musée, ni monument historique. Tel est le triste constat dressé par l’enquête « Cinquante ans de pratiques culturelles en France », rendue publique en juillet 2020. Ahurissant alors que la France compte 45 sites classés au patrimoine mondial de l’Unesco, plus de 1 200 musées labellisés, 25 000 points de vente de livres, 44 000 monuments historiques… Sans compter les théâtres, cinémas, festivals, conservatoires, opéras…
Cette omniprésence patrimoniale et culturelle est une vitrine magnifique qu’une large majorité de Français ne franchit donc jamais. Pire, les plus jeunes pratiquent encore moins que leurs prédécesseurs : cette année, 58 % des 15-28 ans ont lu un livre, contre 84 % des 65-75 ans.
Ces chiffres dressent un constat sévère. En cinquante ans, les pratiques culturelles des Français ont au mieux plafonné, au pire décroché. Et cela sans évoquer des inégalités sociales et géographiques béantes. Dans l’opinion publique la fermeture des lieux de culture a d’ailleurs eu infiniment moins d’écho que celles des restaurants et, de fait, les pouvoirs publics ont jugé que, si la France pouvait bien se passer de livre ou de musée, il fallait qu’elle puisse continuer à se rendre dans les lieux de grande consommation. La consommation est plus importante que la contemplation au pays de Blaise Pascal et de Victor Hugo. Où est passée la fameuse exception culturelle française ?
Descente aux enfers.
Cela dit une lente et insidieuse déculturation de notre pays, dont on trouve également les indices dans la descente aux enfers de nos résultats scolaires. Or, la déculturation est dramatique car elle signifie une rétractation de la vie intérieure, un appauvrissement de la créativité, du langage et de l’imagination. Elle a créé les conditions de l’ensauvagement. Dans ces temps de confinement, où beaucoup d’entre nous se retrouvent livrés à eux-mêmes, c’est parfois face à un désert de culture, à un grand vide intérieur qu’ils sont confrontés. Vide que les écrans ne remplissent pas et qui nourrit les détresses mentales.
Comment expliquer ce déclin des pratiques culturelles alors que les courbes étaient ascendantes jusqu’au début des années 1980 ? Ce n’est pas la faute du numérique : le reflux a commencé avant l’apparition des smartphones et des réseaux. Ce n’est pas un problème d’argent : les parcs d’attractions et à thèmes sont chers mais pleins ! Ce n’est pas une pénurie d’offre, dont on a vu l’importance. Non, c’est une raison idéologique : l’avènement, dans les années Mitterrand, d’une vision de la culture très élitiste, faussement égalitariste, adepte de la déconstruction et qui a tourné en dérision la culture classique, vue comme le reliquat d’un vieux monde réactionnaire. A l’école, les « pédagos » ont également pris le pouvoir, apôtres du nivellement par le bas et de la chasse à la « culture générale » ou aux humanités, latin et grec, jugés intrinsèquement discriminatoires.
Il règne souvent l’idée, parmi ces penseurs de l’enseignement culturel, que le vulgus pecum serait trop frustre pour, d’emblée, accéder naturellement au beau. Alors plutôt que de l’emmener voir un musée, un château, une église, une pièce de théâtre ou un concert, il faudrait multiplier les obstacles en amont pour voir si, à l’issue d’un « parcours d’éducation artistique et culturel », il serait digne d’être lancé dans le bain de la grande culture. D’où des pensums infligés aux élèves tels que la flûte à bec comme préliminaire indispensable à l’apprentissage de tout autre instrument, l’usage massif du collier de nouilles et de la pâte à sel pour mener à la peinture ou à la sculpture, ou l’apprentissage du « street-art » comme plus court chemin vers le musée. A force de faire rimer culture avec laideur et médiocrité, il ne faut pas s’étonner qu’on ait fini par en détourner des générations entières. Ces déconsructeurs ont confiné la culture au cercle des « cultureux » privilégiés.
Viatique
Il est urgent de changer de logique pour que les pratiques culturelles se renforcent chez les jeunes. Cela commence à l’école. L’art n’est pas une idée abstraite qu’on apprend dans des livres, c’est une réalité incarnée à laquelle on se confronte physiquement. Les sorties scolaires ont été largement suspendues depuis les attentats de 2015 et maintenant avec la Covid. Prenons le contre-pied : généralisons les sorties scolaires au musée, dans les monuments historiques, dans les lieux de spectacle ! Exigeons que chaque classe, du primaire au lycée, réalise, au moins une fois par mois une sortie culturelle. Immergeons la jeunesse dans notre patrimoine et notre folklore : il en ressortira naturellement le goût du beau et le sens de l’histoire.
Et pourquoi ne lancerions-nous pas ce mouvement dès maintenant comme un premier viatique contre les effets...
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