Pass Culture élargi aux 0-3 ans, pièces de théâtre jouées à la mi-temps des matchs de foot… Lors des Biennales internationales du spectacle à Nantes, Frédéric Hocquard, président de la Fédération nationale des collectivités pour la culture, s’est projeté dans le futur.
Du monde comme jamais, une rare effervescence : pendant deux jours les Biennales internationales du spectacle (BIS) de Nantes ont résonné des débats, des polémiques et des coups de cœur portés par des milliers de professionnels de la culture. Comme si l’annulation de l’édition de l’an passé leur avait donné envie de rattraper le temps perdu. Mais pas seulement. Chacun est aujourd’hui conscient que la culture vit un bouleversement sans précédent, un « changement de paradigme », pour reprendre une des expressions les plus entendues dans les nombreux débats.
Crise climatique, financement public en berne (trois Régions ont d’ores et déjà annoncé des baisses de subventions), hausse astronomique des coûts de l’énergie, désinvestissement patent du politique envers la culture, retour contrarié du public dans les lieux de spectacle. La liste est longue. « Pouvons-nous continuer à revendiquer l’acte de créer quand à tous les niveaux, social, économique, politique ou environnemental, nous avons atteint un point de bascule ? » s’est même interrogé l’ancien directeur général de la Cité de la musique- Philharmonie, Laurent Bayle, pour mieux y répondre par la positive et sans équivoque : « La mission principale de l’art est de mobiliser l’imaginaire collectif et de formuler le désir d’un autre état du monde. » La feuille de route est claire. Comme Laurent Bayle, vingt-cinq autres « grands témoins » étaient invités à partager en quelques minutes sur scène leur vision de l’avenir du spectacle vivant.
Parmi eux, Frédéric Hocquard, président de la Fédération nationale des collectivités pour la culture (FNCC), un lieu d’échange et de réflexion sur l’action culturelle locale qui regroupe des centaines de communes, Départements ou Régions. Celui qui est également adjoint à la Mairie de Paris en charge du tourisme et de la vie nocturne s’est essayé à l’exercice de la dystopie en imaginant ce que serait le monde de la culture dans vingt ans. Un discours d’abord drôle et grinçant, plus grave et analytique ensuite. Un reflet assez juste des questionnements qui ont irrigué cette dixième édition des BIS de Nantes. Le voici :
« Bonjour à tous et à toutes,
Bienvenue à cette deuxième journée de la 20ᵉ édition des BIS de Nantes. Nous sommes le 15 janvier 2043, il est 11h15, il fait 25 degrés, ce qui est tout à fait dans la normale pour un mois de janvier à Nantes.
J’espère que vous appréciez la ville. Avec ce beau temps, j’imagine que certains d’entre vous ont dû aller à la plage. Profitez-en, c’est bien pratique avec cette montée des eaux, la mer arrive directement à Saint-Herblain.
“Je voulais vous signaler (…) une formation intitulée ‘Comment réussir son festival sans public et sans artistes’.
C’est organisé par les sociétés Zoom et YouTube.”
Je voudrais commencer par excuser le ministre qui aurait dû être présent parmi nous. Mais il a été retenu à l’autre bout de la France à cause d’un fait divers. Le ministre de l’Intérieur, du Sport et de la Culture ne pourra donc pas être là. Oui, car depuis 2024, c’est le locataire de la Place Beauvau qui s’occupe des affaires culturelles dans notre pays. C’est désormais plus simple d’avoir un seul interlocuteur pour régler les questions de sécurité, d’autorisations des festivals et des concerts. Par contre je voudrais remercier Jack Lang d’être toujours là et de rester un fidèle soutien de notre profession.
Je pense que nombre d’entre vous sont allés hier soir au stade de la Beaujoire, assister au spectacle de théâtre qui s’y est joué à la mi-temps de Nantes / PSG. En effet, désormais, pour des raisons d’économies, de baisse de crédits et de mutualisation des moyens, les pièces de théâtre se jouent à la mi-temps des matchs de foot. C’était une magnifique mise en scène, même si j’ai trouvé qu’il y avait quelques longueurs. Mais adapter Henri VI en quinze minutes, quel exploit !
J’imagine aussi que vous avez suivi l’actualité et les nouvelles annonces du président de la République en matière de culture. Notamment celle de l’extension du pass Culture. Il va désormais concerner la tranche d’âge 0-3 ans. C’est important que dès la crèche on facilite l’accès à la culture pour les jeunes.
Enfin l’autre bonne nouvelle, c’est l’augmentation de 0,001 % du RSANE, le fameux revenu social d’activité pour les non-essentiels. C’est le système qui a remplacé celui de l’intermittence du spectacle. Il faut dire que ce dernier était quand même un peu compliqué.
Sinon pour le programme d’aujourd’hui, je voulais vous signaler trois rendez-vous importants. Le premier c’est une formation intitulée « Comment réussir son festival sans public et sans artistes ». C’est organisé par les sociétés Zoom et YouTube. À signaler que cette rencontre aura lieu dans le bio métavers. N’oubliez donc pas de vous connecter.
“Quand des crises sont arrivées, on a fini par qualifier la culture de ‘non essentielle’,
et par la reléguer derrière d’autres priorités.”
Ensuite, le second, c’est une autre formation intitulée « Comment écrire une pièce de théâtre tout en restant un bon patriote ? ». Et c’est organisé par le Comité zemmouriste pour la promotion d’une culture blanche et masculine. Enfin là, vous n’êtes pas obligés d’y aller.
Mais il y a une troisième rencontre dont je voudrais vous dire ici quelques mots. C’est celle d’un historien qui reviendra sur l’histoire des BIS, et notamment sur sa 10ᵉ édition.
Sa conférence s’intitule « Comment tout a commencé ? ». C’est en effet une question qu’on doit se poser. Et si nous étions en 2023, voilà ce que nous pourrions répondre à cette question. La première chose, c’est peut-être qu’on a laissé peu à peu s’effacer la place de la culture dans notre société. On a regretté par exemple qu’à chaque élection présidentielle elle ne fasse que rarement partie des sujets abordés par les candidats. Et quand des crises sont arrivées, on a fini par la qualifier de « non essentielle », et de la reléguer derrière d’autres priorités.
La seconde réponse, c’est qu’il faut qu’on écoute et surtout qu’on entende mieux ce que dit le monde de la culture. Écouter les collectivités territoriales qui sont les premières à financer la culture, mais qui aujourd’hui peinent à boucler leur budget. Plutôt qu’une recentralisation, l’État devrait retrouver l’esprit de la décentralisation d’une part et de la décentralisation culturelle d’autre part. De la décentralisation, en donnant des possibilités de ressources fiscales aux collectivités, et de la décentralisation culturelle, en les invitant par la coopération à financer ensemble des projets culturels.
C’est un manque de positionnement que nombre de territoires, de maires, d’élus à la culture et d’acteurs ne cessent de déplorer. Et le Fonds d’innovation territoriale (1) proposé actuellement n’est pas à la hauteur de l’enjeu. Écouter les territoires, c’est mettre en place de la coopération culturelle et des outils de codécisions à l’échelle locale comme au niveau national entre tous les acteurs de la filière : les professionnels, la puissance publique, le ministère, les élus, les artistes, les publics… C’est grâce à cet ensemble que notre pays a construit patiemment un service public. Si l’on veut que la culture retrouve au XXIᵉ siècle la place qu’elle a tenue à la fin du XXᵉ, il ne faut plus seulement parler de démocratisation culturelle mais de démocratie culturelle.
“La sobriété énergétique ne peut se traduire par un eugénisme dans le monde de la culture. (…)
Comme toute mutation, elle nécessite une mobilisation et des investissements importants.”
Écouter aussi ce qui bouillonne en termes de pratiques artistiques amateurs ou professionnelles, de nouvelles esthétiques : le metal, les musiques traditionnelles ou le R’n’B. Il n’est pas normal, par exemple, qu’un jour une ministre de la Culture ait déclaré au monde de la nuit et de l’électro que son ministère de tutelle était celui de l’Intérieur.
Écouter mais surtout entendre.
Entendre qu’il nous faut prendre à bras-le-corps la bifurcation climatique. Les modifications du climat vont tout balayer sur leur passage et vont nous obliger à des changements de pratique radicaux. Mais nous devrions intégrer plusieurs choses : d’abord la transition climatique, la sobriété énergétique ne peut se traduire par un eugénisme dans le monde de la culture, elle doit être une mutation. Et comme toute mutation, elle nécessite une mobilisation et des investissements importants. Elle doit être accompagnée. On a bien prévu d’investir des milliards d’euros pour la transition climatique dans le domaine de l’aviation. Pourquoi ne pas en mettre quelques-uns dans celui de la culture ? Le service public de la culture manque aujourd’hui de moyens pour agir.
Ensuite, cette transition ne peut se faire sans une mobilisation de l’ensemble du monde de la culture, et particulièrement des...
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