TRIBUNE - L’ancien directeur du Festival d’Avignon rappelle que, les activités culturelles restant de fait l’apanage des classes supérieures, l’appel à la réouverture des lieux de représentation doit aussi concerner les salles de concert et stades si l’on veut éviter le “deux poids, deux mesures”.
Pendant la crise du Covid, les milieux culturels ont fait tous leurs efforts pour respecter les directives sanitaires et n’ont eu de cesse de rappeler que la fréquentation d’une salle de cinéma ou de théâtre présentait moins de risques que les transports en commun ou la fréquentation des bistrots.
L’incompréhension a été grande, entre déception et colère, en constatant que le secteur culturel ne faisait pas l‘objet d’une considération particulière. On n’a eu de cesse de rappeler que la culture était un bien essentiel autant que l’éducation : l’existence humaine ne se résume point à la satisfaction des besoins primaires de l’homme ; d’autres dimensions de la personne sont aussi importantes : la sensibilité, le goût, l’imaginaire. Bref, le monde de l’esprit et des émotions, pour masqué qu’il soit, est aussi capital que le boire et le manger.
Pourtant tous ces arguments, longuement développés par les artistes et les professionnels de la culture, fortement relayés par la ministre elle-même, n’ont pas réussi à modifier les règles sanitaires construites autour du fonctionnement menacé du système hospitalier. Les milieux culturels en ont conclu qu’ils étaient victimes d’un désamour, d’un désintérêt des puissances publiques. Et de regretter le temps béni où les plus hautes autorités de l’État affichaient leur intérêt pour la littérature, les musées, la musique ou l’architecture.
Il est vrai que les milieux dirigeants – qu’on appelle improprement l’élite de la nation – ont perdu quelques contacts avec le monde des arts, tout occupés qu’ils sont par l’observation des réseaux sociaux, les préoccupations électorales et les calculs économiques. Les humanités ne sont plus ce qu’elles étaient.
Mais je ne pense pas pour autant que le secteur de la culture ait fait l’objet d’un oubli ou d’un mépris, ne serait-ce qu’en raison de son poids dans la vie économique et les statistiques de l’emploi. Simplement il y a eu un glissement de concept qui a fait perdre à la culture son statut prestigieux. En adoptant un mode de veille scientifique sur l’extension de la pandémie, les cercles politiques ont rangé les fréquentations des lieux culturels dans la catégorie des activités de loisir.
Un risque de réaction populiste
Dès lors aller au théâtre, entrer dans une librairie, suivre un festival, acheter un ticket de cinéma, tout cela rentrait dans la catégorie des plaisirs de la vie tout comme assister à un match de football ou pratiquer des sports d’hiver. Or, l’heure est au deuil, à la mobilisation générale, à la guerre tous azimuts contre ce virus retors, inconnu et maléfique. Comment dans ces conditions accepter qu’une partie de la population s’offre des plaisirs, qu’ils soient artistiques ou sportifs, lorsque dans le même temps s’épuisent les soignants, peinent les soutiers de la vie collective indispensable, s’entassent les malades en réanimation et s’enferment les personnes âgées dans les Ehpad ?
Depuis de nombreuses années se sont accumulés études et articles tendant à démontrer que les activités culturelles restent l’apanage des classes supérieures. Pour ceux qui pensent que la démocratisation culturelle a échoué, le cercle des connaisseurs ne s’est pas beaucoup élargi, la culture reste affaire de privilégiés par l’appartenance à une classe sociale, voire un critère racial. Il serait donc intolérable de faire exception pour les abonnés d’un théâtre ou d’une salle de concert alors que les stades sont fermés.
On pourrait s’attendre à une réaction du type « gilets jaunes » si les supporters de foot étaient moins bien traités que les habitués des salles de spectacle. Ce serait politiquement intenable et cela renforcerait la réaction populiste, argumentant qu’il y aurait...
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