En attendant un « modèle résilient », comportant cinq paliers de réouverture en fonction de la situation sanitaire, Sandrine Blanchard, reporter au service culture du « Monde », liste et interroge dans sa chronique les situations qui confinent à l’absurdité.
On peut regarder un film sur son ordinateur dans un train à quelques centimètres de son voisin, mais pas sur un grand écran dans une salle de cinéma appliquant la distanciation physique. On peut déambuler dans la galerie commerciale du Louvre mais pas visiter un musée. On peut se tasser dans une rame du RER mais pas assister à un spectacle dans une salle à jauge réduite. On peut écouter une messe dans une église mais pas un concert à la Philharmonie de Paris, etc., etc. Alors que les lieux culturels sont fermés depuis le 30 octobre 2020, les paradoxes des règles sanitaires n’en finissent pas d’interroger.
Ces derniers jours, des artistes ont interpellé la ministre de la culture sur les réseaux sociaux. Jean Dujardin a ainsi publié sur Instagram une photo d’écrans incrustés dans des sièges d’avion et a légendé « Spectacle assis #cinéma #théâtre ». Pierre Niney, sur Twitter, s’est agacé du deux poids, deux mesures en listant : « 100 jours sans aucun musée, mais avec tous les lieux de cultes. 100 jours sans aucun cinéma, mais avec tous les grands magasins. 100 jours d’incompréhension… »
Au pensionnaire de la Comédie-Française, Roselyne Bachelot a répondu : « Il y a peut-être un chiffre qui manque dans l’interpellation que me fait Pierre Niney : 80 000 morts par le coronavirus, des centaines de milliers de personnes avec des séquelles extrêmement dures, ces personnes qui ne retrouveront jamais une vie normale. »
Bref, le jeune comédien aurait été simpliste, voire égoïste dans l’expression de sa colère. Comme si lui-même n’était pas inquiet de la situation. Comme si – tout en mesurant l’impact de la pandémie de Covid-19 – il était interdit ou déplacé de se poser des questions sur les choix d’ouvertures et de fermetures qui ont été faits.
La promesse d’un « modèle résilient »
Car enfin, que sait-on des risques de contamination dans une salle obscure, un musée ou un théâtre qui respectent les protocoles sanitaires ? Le peu d’études qui circulent semblent montrer que l’école, le lieu de travail et le milieu familial seraient davantage contaminants. Les autorités répondent qu’il faut limiter les flux. Mais quels flux ?
Le 2 février, lors d’une réunion en visioconférence avec les directeurs régionaux des affaires culturelles, la ministre expliquait : « Une récente étude du ministère montre que les déplacements journaliers générés par la réouverture des établissements culturels recevant du public concerneraient au maximum entre 1,3 % et 2,2 % des déplacements en transports en commun habituels. » Et Roselyne Bachelot d’ajouter : « Cela doit rassurer sur l’impact d’une réouverture sur la circulation du virus. »
Alors ? Alors rien. Aucune date de réouverture à l’horizon. Au minimum, puisque Emmanuel Macron a promis que tous les Français qui le souhaitent seraient vaccinés d’ici à la fin de l’été, pourquoi ne pas au moins annoncer une reprise en septembre ? Cela aurait le mérite de fixer une perspective. Et si une réouverture est finalement possible avant, ça prendrait l’allure d’une bonne nouvelle.
Pour l’heure, seule la promesse d’un « modèle résilient », comportant cinq paliers de réouverture en fonction de la situation sanitaire, est à l’étude. L’idée est de sortir du « tout ou rien » en adaptant les jauges et les conditions d’accueil du public aux aléas du virus. De multiples réunions ont eu lieu rue de Valois avec les professionnels de la culture. Les copies sont rendues.
Problème : la réponse du ministère de la santé – qui doit indiquer les taux de contamination et d’hospitalisation correspondant à chacun des cinq paliers – se fait toujours attendre. Et le variant anglais n’arrange rien à l’affaire. « Nous n’avons pas d’études scientifiques solides sur les lieux culturels », a fait valoir Roselyne Bachelot, lundi 22 février sur BFM-TV. Mais alors, sur quelles bases sont établis les protocoles du « modèle résilient » ? Ne seraient-ce que des usines à gaz pour gagner du temps ?
Environ 350 films en attente de sorties
Et que dire de certaines situations qui confinent à l’absurdité. Ainsi, le 12 février, « un faux public » a pu assister à la cérémonie de remise des Victoires de la musique. Soit 200 intermittents du spectacle recrutés pour applaudir et mettre un peu d’ambiance. Mais quelle différence y a-t-il, d’un point de vue sanitaire, entre un faux public payé et un vrai public qui paie ?
Autre contradiction : à Amiens, des artistes ont pu se produire, devant des élèves, dans la salle de spectacle de l’établissement scolaire La Providence. Pour la petite histoire, c’est là que se rencontrèrent Brigitte et Emmanuel Macron. Ainsi, des comédiens peuvent jouer dans un théâtre sous prétexte qu’il est situé dans une école, mais les théâtres n’ont...
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