Philosophe de formation, Agnès Gayraud est depuis 2008 autrice et compositrice pour son projet musical La Féline. En début d’année, elle a également publié Dialectique de la pop aux Éditions La Découverte.
Agnès Gayraud, comment parvenez-vous à jongler entre ces différentes facettes de votre personnalité ?
J’ai longtemps vécu tout cela de manière presque contradictoire. Quand je préparais ma thèse de philo et qu’en même temps je faisais de la musique, j’étais très tourmentée… Jusqu’au jour où j’ai commencé à écrire sur la musique. Cela m’a réconciliée, j’ai écrit sur des amis artistes pour mon blog Moderne, c’est déjà vieux.
J’étais heureuse d’écrire sur ces artistes sur lesquels on ne porte que trop peu de regards. Et donc, cela a associé l’écriture à la musique dans une forme de continuité. Je ne fais vraiment pas de pop philosophique, mais je voyais bien qu’il n’y avait pas de regard de philosophe sur cette musique et que, finalement, peu de personnes connaissaient vraiment ce sujet. Pour moi, écrire cette anthologie, c’était comme une mission. Ce n’est pas de la théorie qui se veut surplombante. Je vis assez bien avec ces différentes personnalités qui sont les miennes. C’est une « coloc » assez plaisante.
Comment est né le projet artistique de La Féline ?
La Féline existe depuis que je suis toute petite. J’ai toujours écrit, fait mes premiers enregistrements vers 6 ou 7 ans. J’ai toujours voulu, non seulement écrire des chansons, chanter, mais aussi être sur scène. J’avais ce besoin. Mon père n’était pas là, j’avais absolument besoin de me présenter sur scène, peut-être d’être aimée. C’est un peu tout le bagage psychanalytique, assez bateau. C’est en 2008 que j’ai créé la Féline. J’avais rencontré Xavier Thiry un peu plus tôt.
Cela fait dix ans que l’on travaille ensemble. Il est vraiment un alter ego. J’arrive avec les compositions, ma vision de l’album, et cela m’inspire de savoir que tout cela va le stimuler. C’est un multi-instrumentiste formidable qui peut réaliser tout ce que je lui demande et m’apporter ici beaucoup d’idées en regard de ce que j’ai écrit. Et il est assez humble pour me laisser être ma cheffe !
Quel regard portez-vous justement sur le paysage de la chanson en France ?
La chanson en France a beaucoup changé en une vingtaine d’années. Les textes sont très importants dans ma musique, mais je n’écris jamais de texte avant la musique. Ce qui peut être un peu gênant en France, c’est la catégorisation. Pour qui chante en français, il n’existe qu’une alternative : soit vous faites de la chanson, soit vous faites de la variété. Soit vous êtes authentique, sérieux, un peu « chiant», soit vous êtes ludique, sympa et vendu/vendeur.
Lorsque mon précédent disque est paru en Grande-Bretagne, j’étais ravie car dans les revues, on parlait enfin de ma musique et pas seulement des textes. En France, on surinvestit sur le texte, mais aussi sur le personnage, et donc, sur mon côté intello. Mon rêve, c’est que l’on écoute mes disques en planant un peu, pas en se concentrant sur les textes. Je ne suis pas là pour parler d’Adorno dans mes chansons.
Pouvez-vous compter sur quelques partenaires fidèles lorsque vous partez, comme actuellement, sur le montage d’une nouvelle tournée ?
J’ai quelques partenaires très fidèles, depuis dix ans. J’ai l’impression que je fais partie des groupes qui ont besoin d’un petit soutien sur le réseau Smac. Une salle comme cela ne peut pas compter sur mes passages télé ou sur mes seules diffusions sur France Inter.
Pour que cela marche, il faut qu’un programmateur s’engage en m’invitant et que le public de sa salle lui fasse confiance pour venir écouter ma musique. Cela joue énormément, en province, je peux rassembler 50 personnes sur mon nom, pas plus. Le grand public est plus difficile à atteindre sans radio ni télé.
Avez-vous bénéficié de temps de création, de résidence, dans votre parcours ?
Pour le moment, non. Ou pas plus de deux ou trois jours. C’est un soutien qui manque. Je crois qu’on ne prête qu’aux riches et donc il faut vraiment des programmateurs passionnés pour faire confiance à des artistes plus confidentiels, pointus. Et je comprends, il y a énormément de propositions et peu de moyens pour accompagner les artistes moins en vue.
Que vous manque-t-il aujourd’hui pour pousser encore plus loin votre projet ?
L’enregistrement s’est tellement démocratisé que l’on peut faire de belles choses à moindre coût. Par contre, j’ai l’impression de n’avoir jamais eu vraiment de temps de création sur scène. Il y a tout un imaginaire dans mes albums que je ne parviens pas à traduire sur scène. Sans argent, pas de décor ni de vrai temps pour travailler cela au plateau.
On donne priorité à la musique, mais c’est bête car ce sont tous ces à-côtés qui font que c’est un vrai show et que cela séduit le public.
Avez-vous bénéficié du FAIR au début de votre carrière ?
Non, j’ai postulé cinq fois, sans jamais obtenir ce soutien. C’était un peu accablant pour moi. J’avais l’impression que ceux qui l’obtenaient étaient ceux qui avaient déjà une maison de disque.
Est-il difficile de durer dans ce métier ?
Non, je ne pense pas. Ce qui est compliqué, c’est de vivre de ce métier. Mais, non, on peut y durer. Je crois que je ferai de la musique jusqu’à la fin, cela me sauve. Par contre, il est plus difficile de durer après un énorme succès, on peut se casser les dents ensuite. Là, c’est difficile. Pour moi, j’ai l’impression d’une progression, une courbe ascendante très douce (rires).
La musique n’est pas votre seule activité, celle dont vous tirez l’essentiel de vos revenus ?
Non, et c’est ce qui me rend aussi assez sereine. J’enseigne la théorie artistique dans une école d’art nationale, à la Villa Arson à Nice. Je me sens pleinement artiste et quand je fais de la musique, je ne fais que ça. Travaillant dans une école d’art, tous les enseignants sont artistes et comprennent cela. Cela me permet d’aménager mon emploi du temps. Cela me permet d’exister en tant qu’artiste théoricienne À l’université, cela ne serait pas possible.
Le disque est-il plutôt, pour vous, un objet promotionnel utile à la scène ?
Ah non, le disque compte beaucoup. Je fais des disques pour faire des œuvres. J’ai eu un message d’un jeune homme sur mon blog. Il me disait tout récemment avoir emprunté Triomphe à la médiathèque et que ce disque avait changé sa vie, que les paroles étaient pleines de vérité. Pour moi, c’est l’accomplissement total.
Propos recueillis par Cyrille Planson
Actu scène
Sortie de son nouvel album, Vie Future, le 11 octobre.
En concert le 12 octobre au Café de la Danse à Paris.