
Gestion des castings, encadrement des mineurs, droit de regard sur les scènes d’intimité… La commission d’enquête parlementaire sur les violences dans les milieux du cinéma, du théâtre ou de la publicité dresse une liste de 86 recommandations pour « assainir et sécuriser » le modèle français de création artistique.
« Nul ne pourra plus dire qu’il ne savait pas », écrit le député Erwan Balanant (MoDem, Finistère) dans son rapport au nom de la commission d’enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité. Nul ne pourra plus dire qu’il ne savait pas que les violences dans ces secteurs sont « massives ». Et c’est là la première des 86 recommandations du rapport : la nécessité de les chiffrer.
Constituée en mai 2024, interrompue par la dissolution de l’Assemblée nationale, relancée à l’automne, cette commission d’enquête parlementaire, dont les travaux se sont achevés le 2 avril, doit présenter son rapport ce mercredi 9 avril au Palais-Bourbon. Des conclusions très attendues par les professionnels du secteur.
Mise en place après l’audition de Judith Godrèche par la délégation aux droits des enfants, en mars 2024, au cours de laquelle l’actrice avait dénoncé en mots très durs l’inaction du monde du cinéma face à ces violences – un « système féodal, aristocratique », où règne « l’oppression du plus faible » –, la commission a fait siens les mots de la réalisatrice. Au terme de six mois d’enquête et de 85 auditions, soit plus de cent dix-huit heures d’échanges avec 350 professionnels, auxquels s’ajoutent des centaines de témoignages reçus depuis le mois de novembre, elle conclut que « ce modèle français de création artistique doit être assaini et sécurisé ». Sans ironie aucune, le rapport rappelle que, si l’on parle fréquemment de la « grande famille » du cinéma ou du théâtre, le cercle familial est précisément l’un des lieux privilégiés de la commission des violences.
Trente et un députés ont siégé dans cette commission présidée par Sandrine Rousseau (Les Ecologistes, Paris) et dont Erwan Balanant était le rapporteur. La première a cristallisé toutes les critiques – elle a parfois été qualifiée d’inquisitrice et été accusée par dix-neuf avocats signataires d’une tribune dans Marianne, le 26 mars, d’avoir traité « des personnes qui n’ont été ni condamnées ni même entendues par la justice (…) comme quasiment coupables ». Ils concluaient : « Au moment où cette commission s’apprête à rendre son rapport, il va sans dire que son contenu ne surprendra personne : tous coupables, forcément coupables. »
La solennité du moment – l’obligation de se rendre aux auditions, de prêter serment, de s’exprimer devant la représentation nationale – a pu troubler certains auditionnés, mais, à la lecture du rapport et des comptes rendus d’audition, il apparaît que cette commission n’a pas tenté de se substituer à la justice. « Nous ne sommes pas un tribunal, nous ne sommes pas juges, explique Sandrine Rousseau. Il s’agit d’une commission d’enquête de la société, pas d’une enquête de police. »
« Loi du silence »
Le travail consistait à « analyser les mécanismes profonds qui permettent la survenue des violences et leur reproduction dans ces milieux » qui emploient un peu plus d’un demi-million de personnes, auxquelles il convient d’ajouter les 800 000 élèves et étudiants des établissements, publics et privés, des secteurs de la culture. Des professionnels trop souvent « précaires », soumis à une hiérarchie rigide qui dispose d’un « droit de vie ou de mort sur la carrière des acteurs et des actrices, en particulier les plus jeunes et les plus fragiles ».
Selon le rapport, plusieurs éléments font de ces secteurs un terreau propice aux violences : la parité imparfaite ; le corps qui, dans sa fragilité, y est à la fois un outil et un objet – celui des femmes, en particulier ; la « loi du silence » instaurée dans un milieu où le droit du travail n’existe pas ou si peu.
Le tableau brossé dans les 313 pages que compte le rapport est accablant. Si, au cours des auditions, Erwan Balanant a tenu à se...
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