En région Pays de la Loire, les artistes protestent contre des coupes drastiques dans les subventions culturelles (-62 %), menaçant festivals, théâtres et projets locaux. Si la dépendance de la culture institutionnelle vis-à-vis des collectivités territoriales est bien connue, celle des responsables politiques envers les artistes reste souvent dans l’ombre. En effectuant de telles coupes, les politiques oublieraient-ils leur propre dépendance aux artistes ?
La dépendance de nombreux élus vis-à-vis de la culture s’est accrue depuis les années 1980. Une dépendance qui renvoie largement à l’instrumentalisation croissante qu’ils ont pu en faire, c’est-à-dire aux manières dont de nombreux élus ont mis à contribution la culture pour satisfaire leurs ambitions dans des champs extra-artistiques.
Le pari culturel des acteurs politiques
Cette instrumentalisation s’est d’abord imposée dans les années 1980 par rapport à la question sociale. C’est en effet au moment des premières émeutes de banlieue, entre 1979 et 1982, que des projets artistiques ont commencé à être pensés et financés pour « recréer du lien social », selon la formule consacrée à l’époque. Les acteurs des arts de la rue ont été parmi les premiers à jouer ce rôle social (Royal de Luxe, Délices Dada, Ilotopie, Les Piétons, Le Phun, Kumulus, Oposito, la Compagnie OFF, Décor Sonore, L’illustre Famille Burratini, Cacahuète, etc.). Cela représentait pour eux une opportunité financière, mais aussi symbolique, l’argent public venant légitimer leur discipline jusque-là peu reconnue artistiquement.
Par la suite, le champ d’instrumentalisation culturel s’est élargi pour satisfaire des ambitions à la fois économique (développement touristique, industries créatives, etc.) et d’aménagement du territoire. Cette double tendance a pu s’appuyer sur une logique d’équipement avec pour modèle le musée Guggenheim de Bilbao (voire antérieurement le centre George Pompidou), archétype de requalification urbaine (c’est-à-dire le fait de changer la vocation initiale d’un quartier) par un projet culturel et un geste architectural. Pour des quartiers en friche, désertés par l’industrie, la culture a été mise au centre de la dynamique urbaine, comme sur l’île de Nantes ou le quartier Confluence à Lyon. La « festivalisation » des politiques municipales depuis les années 2000 et un autre aspect d’une volonté de développer une économie touristique fondée sur la culture.
Aujourd’hui, la tendance que le politologue Guy Saez appelle « l’hyper instrumentalisme culturel » s’est emparée des problématiques numériques, écologiques, des inégalités de sexe, etc. Il existe également une autre attente plus implicite du politique : les formes artistiques devraient être pédagogiques. Sensibilisation, éducation aux enjeux écologiques, aux inégalités de tous genres : pour les artistes, l’accès à la subvention semble de plus en plus conditionné à ce rôle pédagogique.
La culture à tout faire : hyper instrumentalisme et communication
La culture à tout faire révèle néanmoins la faiblesse du politique à inventer lui-même ses solutions sociales ou de développement économique. Il s’est ainsi instauré une sorte de « délégation de service public » à la culture. À tel point que le sociologue Jean Caune a pu parler de croyance magico-lyrique envers la culture, bonne à tout faire, les artistes se faisant tour à tour pompiers des banlieues ou travailleurs sociaux, acteurs économiques, urbanistes ou pédagogues. Les porteurs de projets et les artistes ont saisi l’opportunité de ce précieux soutien financier. Ils sont eux-mêmes venus alimenter le besoin politique, théorisant leur action pour mieux la vendre et démontrer son efficacité. Parmi les dernières notions en date, l’urbanisme culturel, qui voudrait « créer les conditions de la capacité à agir pour toutes les parties prenantes et influer sur les modes opératoires de la fabrique territoriale ». Cet urbanisme culturel révèle le paroxysme de cette interdépendance croissante entre...
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